LA CEDU RICONOSCE IL DIRITTO ALL’ADOZIONE ANCHE PER LE COPPIE OMOSESSUALI

La Convenzione europea dei diritti dell’uomo non impone agli Stati di riconoscere il diritto all’adozione per le coppie non sposate; tuttavia, nel momento in cui uno Stato concede tale diritto alle coppie non sposate eterosessuali, non riconoscerlo anche alle coppie non sposate dello stesso sesso rappresenta una irragionevole discriminazione fondata sull’orientamento sessuale.

  

 

ARRÊT

STRASBOURG

Le 19 février 2013

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire X et autres c. Autriche,

La Coureuropéenne des droits de l’homme (Grande Chambre), siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Nina Vajić,
Lech Garlicki,
Peer Lorenzen,
Anatoly Kovler,
Elisabeth Steiner,
Khanlar Hajiyev,
Egbert Myjer,
Danutė Jočienė,
Ján Šikuta,
Vincent A. de Gaetano,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Erik Møse,
André Potocki, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint dela Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 octobre 2012 et le 9 janvier 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19010/07) dirigée contrela Républiqued’Autriche et dont trois ressortissants de cet Etat (« les requérants ») ont saisila Courle 24 avril 2007 en vertu de l’article 34 dela Conventionde sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président dela Grande Chambrea accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 3 du règlement dela Cour– « le règlement »).

2.  Devantla Cour, les requérants ont été représentés par Me H. Graupner, avocat à Vienne. Le gouvernement autrichien (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. H. Tichy, ambassadeur, chef du département de droit international au ministère fédéral des Affaires européennes et internationales.

3.  Dans leur requête, les requérants se disaient victimes d’une discrimination par rapport aux couples hétérosexuels, l’adoption coparentale par un couple homosexuel étant juridiquement impossible en droit autrichien.

4.  La requête a été attribuée à la première section dela Cour(article 52 § 1 du règlement). Le 29 janvier 2009, celle-ci a décidé de la communiquer au Gouvernement. Elle a en outre décidé qu’elle se prononcerait en même temps sur la recevabilité et sur le fond de l’affaire (article 29 § 1 dela Convention). Le 1er décembre 2011, une chambre de la première section a tenu une audience. Le 5 juin 2012, une chambre de ladite section composée de Nina Vajić, Anatoly Kovler, Elisabeth Steiner, Khanlar Hajiyev, Julia Laffranque, Linos-Alexandre Sicilianos et Erik Møse, juges, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section, s’est dessaisie au profit dela Grande Chambre(article 30 dela Convention), aucune des parties ne s’y étant opposée dans le délai imparti (article 72 du règlement).

5.  La composition dela Grande Chambrea été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 dela Conventionet 24 du règlement.

6.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

7.  En outre, des observations ont été soumises par le professeur R. Wintemute au nom des six organisations non gouvernementales suivantes, que le président dela Grande Chambreavait autorisées à intervenir dans la procédure écrite :la Fédérationinternationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH),la Commissioninternationale de juristes (CIJ), la branche européenne de l’International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans and Intersex Association (ILGA-Europe),la British Associationfor Adoption and Fostering (BAAF), le Network of European LGBT Families Associations (NELFA), et l’European Commission on Sexual Orientation Law (ECSOL). Des observations ont aussi été reçues du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), du procureur général de l’Irlande du Nord, d’Amnesty International (AI) et d’Alliance Defending Freedom (ADF), également autorisés à intervenir dans la procédure écrite.

8.  Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 3 octobre 2012 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

–  pour le Gouvernement
Mme B. Ohms, chancellerie fédérale, agent adjoint,
M. M. Stormann, ministère fédéral de la Justice,
Mme A. Jankovic, ministère fédéral des Affaires européennes
et internationales, conseillers ;
–  pour les requérants
Me H. Graupner,              conseil.

La Coura entendu Mme Ohms et Me Graupner en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9.  Les première et troisième requérantes sont nées en 1967. Le deuxième requérant est né en 1995.

10.  Les première et troisième requérantes entretiennent une relation stable. Le deuxième requérant, né hors mariage, est le fils de la troisième requérante. Il a été reconnu par son père et placé sous l’autorité parentale exclusive de sa mère. Les trois requérants vivent au sein du même foyer depuis le cinquième anniversaire du deuxième requérant, dont les première et troisième requérantes s’occupent ensemble.

11.  Le 17 février 2005, la première requérante et le deuxième requérant, représenté par sa mère, conclurent une convention prévoyant l’adoption du second par la première. Cette convention visait à créer, entre la première requérante et le deuxième requérant, un lien juridique reflétant les rapports qui les unissaient sans pour autant rompre la relation entre l’enfant et sa mère, la troisième requérante.

12.  Conscients que le libellé de l’article 182 § 2 du code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) pouvait être interprété comme excluant l’adoption par un membre d’un couple homosexuel de l’enfant de son partenaire sans que le lien de l’enfant avec ce dernier – parent biologique du même sexe que l’adoptant – ne s’en trouve rompu, les intéressés prièrentla Courconstitutionnelle de déclarer cette disposition inconstitutionnelle au motif qu’elle leur faisait subir une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des première et troisième requérantes. Ils faisaient valoir que dans le cas des couples hétérosexuels l’article 182 § 2 du code civil permettait l’adoption coparentale, c’est-à-dire l’adoption par l’un des membres du couple de l’enfant de son partenaire sans que cela n’eût d’incidence sur le lien juridique existant entre ce dernier et l’enfant.

13.  Le 14 juin 2005,la Courconstitutionnelle déclara leur requête irrecevable en application de l’article 140 dela Constitutionfédérale. Elle releva qu’aux fins de statuer sur l’homologation de la convention d’adoption le tribunal de district compétent devrait examiner la question de savoir si l’article 182 § 2 du code civil ouvrait ou non l’adoption coparentale aux couples homosexuels. Elle ajouta que si les requérants se voyaient refuser l’homologation par ce tribunal il leur serait loisible de soulever leurs moyens d’inconstitutionnalité de la disposition litigieuse devant les juridictions d’appel, lesquelles pourraient porter la question devant elle au cas où elles partageraient les vues des intéressés.

14.  Le 26 septembre 2005, les requérants invitèrent le tribunal de district compétent à homologuer la convention d’adoption, aux termes de laquelle le deuxième requérant devait avoir pour parents les première et troisième requérantes. Dans leur requête, ils exposaient que la première requérante et l’enfant avaient noué des liens affectifs étroits, que celui-ci s’épanouissait dans un foyer où il vivait avec deux adultes soucieux de son bien-être, que leur requête visait à faire reconnaître juridiquement leur cellule familiale de fait et qu’elle aurait pour effet de substituer la première requérante au père de l’enfant. Ils précisaient que le père s’était opposé à cette adoption sans motiver son refus. Ils alléguaient qu’il manifestait une hostilité extrême envers leur famille et qu’il y avait donc lieu pour le tribunal de passer outre à ce refus, comme le permettait l’article 181 § 3 du code civil, l’adoption envisagée étant à leurs yeux conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant. A leur requête se trouvait joint un rapport du service de protection de la jeunesse qui confirmait que les première et troisième requérantes se partageaient les tâches quotidiennes liées à la garde de l’enfant ainsi que la responsabilité de son éducation et concluait que l’attribution de l’autorité parentale conjointe était souhaitable, tout en exprimant des doutes sur la légalité de cette solution.

15.  Le 10 octobre 2005, le tribunal de district refusa d’homologuer la convention d’adoption, estimant que l’article 182 § 2 du code civil ne prévoyait aucune forme d’adoption propre à produire les effets souhaités par les requérants. Sa décision était ainsi motivée :

« Mme , la troisième requérante, est titulaire de l’autorité parentale exclusive sur son fils mineur, , né hors mariage.  vit à (…) avec sa compagne (…) (la première requérante) et (…) (le deuxième requérant).

La mère de l’enfant et sa partenaire ont été définitivement déboutées d’une requête introduite conjointement par elles le 12 octobre 2001, par laquelle elles demandaient le transfert partiel de l’autorité parentale sur au profit de la compagne de la mère de celui-ci de sorte qu’elles pussent exercer conjointement l’autorité parentale.

Aux termes de la convention d’adoption du 17 février 2005, dont les intéressés sollicitent à présent l’homologation, la première requérante marque sa volonté d’adopter l’enfant en qualité de compagne de la mère .

La convention d’adoption que les requérants souhaitent voir homologuer aurait pour effet de rompre les liens juridiques familiaux existant entre l’enfant et son père ainsi qu’entre l’enfant et la famille de son père tout en préservant la relation entre l’enfant et sa mère. Les requérants demandent par ailleurs à la justice de passer outre au refus du père de l’enfant de consentir à cette adoption.

La requête des intéressés, qui vise en fait à permettre au couple homosexuel que forment la mère biologique et la mère adoptante d’exercer conjointement l’autorité parentale sur l’enfant, est juridiquement mal fondée.

L’article 179 du code civil énonce que l’adoption peut être le fait d’une seule personne ou d’un couple marié. L’adoption d’un enfant par une personne mariée agissant seule est subordonnée à des conditions strictes. Il résulte de la seconde phrase de l’article 182 § 2 du code civil que si l’enfant n’est adopté que par un homme (ou une femme) les liens juridiques familiaux – autres que le lien de filiation lui-même – ne sont rompus qu’à l’égard du père biologique (ou de la mère biologique) et de la famille de ce dernier (ou de cette dernière). Dans le cas où les liens entre l’enfant et son autre parent subsistent après l’adoption, le juge les déclare rompus à l’égard du parent concerné, sous réserve que celui-ci y consente.

L’article 182 du code civil a été modifié pour la dernière fois en 1960 (Journal officiel no 58/1960). Eu égard au libellé non équivoque de cette disposition et à la volonté manifeste du législateur de l’époque, il y a lieu de présumer que l’adoption par une seule personne rompt le lien juridique entre l’adopté et son parent biologique du même sexe que son parent adoptif, et qu’elle n’altère pas le lien avec le parent du sexe opposé (voir aussi Schlemmer in Schwimann, ABGB2 I § 182, point 3). Ce n’est que dans ce cas de figure que la loi permet au juge de rompre ce lien, sur lequel l’adoption n’a en elle-même pas d’effet.

Il s’ensuit que la convention dont les requérants sollicitent l’homologation, qui conduirait à l’adoption par une femme et à la rupture de ses liens avec son père biologique mais non avec sa mère biologique, est illicite. L’interprétation conforme àla Constitutionque doit évidemment recevoir la disposition législative en cause ne change rien à cette conclusion.

Il est exact que selon la jurisprudence constante dela Coureuropéenne des droits de l’homme les questions relatives à l’orientation sexuelle bénéficient de la protection que l’article 8 dela CEDHaccorde au droit à la vie privée et familiale. Il est vrai également que d’après la jurisprudence dela Courles discriminations fondées sur l’orientation sexuelle sont rigoureusement incompatibles avec les articles 8 et 14 dela Convention. Toutefois, il convient de relever quela Couraccorde invariablement aux Etats membres du Conseil de l’Europe en la matière une marge d’appréciation dont l’ampleur est inversement proportionnelle à celle de la communauté de vues qu’il peut y avoir entre leurs ordres juridiques respectifs. Au paragraphe 41 de l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Fretté c. France (requête no 36515/97, CEDH 2002-I),la Coureuropéenne a expressément indiqué que le droit des homosexuels à l’adoption paraissait traverser une phase de transition et connaissait des évolutions sociales justifiant l’octroi d’une large marge d’appréciation aux Etats membres, tout en précisant que cette marge d’appréciation ne pouvait être interprétée comme une carte blanche donnée aux Etats pour prendre des décisions arbitraires.

Il appartient donc aux seuls Etats de décider de l’opportunité d’offrir à deux personnes du même sexe la possibilité de créer un lien juridique avec un enfant sur un pied d’égalité, dans les limites fixées par l’article 8 § 2 dela Convention. Letribunal estime que, même interprété conformément àla Constitutioncomme il doit l’être, le droit autrichien actuellement en vigueur exclut cette possibilité. La mesure voulue par les requérants nécessiterait une modification législative. Elle ne peut être validée par une simple décision de justice qui donnerait de l’article 182 du code civil une interprétation contraire à son libellé non équivoque.

Au vu de ce qui précède, le tribunal rejette la requête en homologation de la convention d’adoption présentée par les requérants ».

16.  Les requérants interjetèrent appel de cette décision. Invoquant les articles 8 et 14 dela Convention, ils soutenaient dans leur recours que l’article 182 § 2 du code civil était discriminatoire dès lors qu’il opérait une distinction injustifiée entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Ils faisaient observer que l’adoption coparentale était ouverte aux couples hétérosexuels, mariés ou non, mais non aux couples homosexuels. Ils précisaient que leur affaire, qui concernait une différence de traitement entre couples hétérosexuels et couples homosexuels, se distinguait de l’affaire Fretté, où était en cause une adoption par un célibataire homosexuel.

17.  Ils estimaient que l’instauration d’une différence de traitement entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels était particulièrement problématique au regard de l’arrêt rendu parla Courdans l’affaire Karner c. Autriche (no 40016/98, CEDH 2003-IX). Ils affirmaient que les Etats européens ouvrant l’adoption coparentale aux couples homosexuels étaient rares, que la majorité d’entre eux réservaient cette forme d’adoption aux couples mariés et qu’il existait en Europe un consensus pour considérer qu’il ne fallait pas traiter différemment les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels. Ils soutenaient que la différence de traitement incriminée ne poursuivait aucun but légitime, ajoutant notamment qu’elle n’était pas nécessaire à la protection de l’intérêt de l’enfant. Ils avançaient que certains travaux scientifiques montraient que les enfants s’épanouissaient aussi bien dans les familles composées de parents homosexuels que dans les familles composées de parents hétérosexuels, et que l’important n’était pas l’orientation sexuelle des parents, mais la capacité de ceux-ci à former une famille stable et attentionnée. Ils invitaient la juridiction d’appel à infirmer la décision du tribunal de district et à faire droit à leur requête du 26 septembre 2005 ou, à titre subsidiaire, à renvoyer l’affaire devant le tribunal de district pour qu’il statue à nouveau.

18.  Le 21 février 2006, le tribunal régional débouta les requérants de leur appel sans avoir tenu d’audience. Dans son arrêt, il évoquait des procédures connexes portant, d’une part, sur le droit de visite et l’obligation d’entretien du père du deuxième requérant et, d’autre part, sur les démarches infructueuses entreprises par les première et troisième requérantes pour se voir attribuer l’autorité parentale conjointe sur le deuxième requérant. Il exprimait des doutes sur la capacité de la troisième requérante à représenter son fils dans la procédure, estimant que cette situation pouvait donner lieu à un conflit d’intérêts. Il poursuivait ainsi :

« Toutefois, il est en réalité inutile de s’arrêter sur cette question car le tribunal estime, pour les motifs exposés ci-après, qu’il convient en tout état de cause de refuser l’homologation de la convention d’adoption litigieuse, comme l’a d’ailleurs fait le premier juge, sans qu’il soit besoin d’en délibérer plus avant. Dans ces conditions, la question de savoir si l’enfant est valablement représenté dans la procédure ne se pose pas.

Dans leurs décisions sur la demande de transfert partiel de l’autorité parentale au profit de , les juridictions compétentes ont indiqué que, si le droit autrichien de la famille ne définit pas la notion de « parents », il ressort très clairement de l’ensemble de ses dispositions que, pour le législateur, un couple parental se compose par principe de deux personnes de sexe opposé, raison pour laquelle la loi attribue à titre principal l’autorité parentale sur l’enfant à ses deux parents biologiques – ou à sa mère biologique en cas de naissance hors mariage – et ne prévoit que l’enfant puisse être placé sous l’autorité d’autres personnes que dans les cas où il est impossible d’appliquer cette règle. Les juridictions concernées en ont conclu que, en présence des parents biologiques (père et mère), il n’y avait pas lieu de placer l’enfant sous l’autorité de tiers, même si, d’un point de vue purement factuel, ceux-ci pouvaient avoir des liens étroits avec l’enfant (à comparer avec OGH, 7 Ob 144/02 f). Elles ont considéré que cette position juridique n’emportait aucune discrimination à l’égard des couples homosexuels, les règles régissant le droit de la famille étant fondées, conformément à la réalité biologique, sur le socle du couple composé de parents de sexe opposé.

Le tribunal estime que les considérations exposées ci-dessus trouvent également à s’appliquer à la question en débat, à savoir celle de l’opportunité d’homologuer l’adoption d’un enfant mineur par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. Dans ce cas aussi, vu la présence de ses deux parents de sexe opposé, il serait inutile d’adjoindre à l’enfant un « parent légal » supplémentaire. Il ne s’agit nullement d’opérer une discrimination à l’égard du partenaire homosexuel de la mère de l’enfant, mais simplement de constater que, en présence des deux parents de sexe opposé, il n’y a tout simplement pas lieu de prévoir une disposition qui autoriserait le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux à se substituer à l’autre.

L’adoption d’un mineur vise essentiellement à créer un lien analogue à celui qui existe entre les enfants et leurs parents biologiques. Il ressort du dossier de l’affaire que le père biologique de l’enfant a des contacts réguliers avec celui-ci. L’enfant entretient donc des liens solides avec ses deux parents de sexe opposé. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de substituer à l’un ou l’autre des parents biologiques le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux en autorisant l’adoption de l’enfant.

La jurisprudence sur le droit de visite et d’hébergement des parents reconnaît également, de manière générale et certaine, que des études psychologiques et sociologiques démontrent qu’il est particulièrement important pour l’épanouissement de l’enfant que celui-ci maintienne des relations personnelles avec le parent avec lequel il ne vit pas (voir, notamment, EFSlg 100.205). C’est la raison pour laquelle la législation va jusqu’à conférer à l’enfant le droit d’avoir des contacts personnels avec le parent avec lequel il ne cohabite pas (voir, notamment, OGH, 3 Ob 254/03 z). De la même manière, il ne fait aucun doute que, pour le bon développement d’un enfant mineur, il est hautement souhaitable que celui-ci puisse entretenir des contacts personnels avec ses deux parents de sexe opposé, c’est-à-dire avec une femme (sa mère) et un homme (son père) responsables de son éducation, et qu’aucun effort ne doit être épargné à cette fin (comparer, notamment, avec EFSlg 89.668). Dans ces conditions, le maintien de relations personnelles, au moins minimales, entre l’enfant et ses deux parents est fortement recommandé et généralement exigé dans l’intérêt de l’épanouissement de l’enfant (comparer avec OGH, 7 Ob 234/99 h). Ces mêmes considérations s’opposent clairement à l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents lorsque cette mesure aurait pour effet de rompre les liens familiaux de l’enfant avec son autre parent.

Comme indiqué ci-dessus, cette position juridique ne saurait passer pour une discrimination à l’encontre des couples homosexuels. A cet égard, la motivation de la décision attaquée renvoie – à juste titre – à la jurisprudence constante dela Coureuropéenne des droits de l’homme qui reconnaît que l’orientation sexuelle relève de la protection de la vie privée et familiale (article 8 dela Convention) et qui en conséquence qualifie les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle de rigoureusement incompatibles avec les articles 8 et 14 dela Convention. Toutefois, la décision entreprise souligne tout aussi justement que, lorsqu’il légifère sur des questions qui ne font pas l’objet d’un consensus clair dans les ordres juridiques des Etats membres, le législateur national doit se voir accorder une marge d’appréciation élargie. Tout en relevant que la marge d’appréciation ne devait pas être interprétée comme une carte blanche donnée aux Etats pour prendre des décisions arbitraires, le premier juge a estimé qu’elle devait recevoir une interprétation très large s’agissant du droit des homosexuels à l’adoption, compte tenu des évolutions dont cette question faisait l’objet dans la société. A cet égard, l’ordre juridique autrichien ne contient aucune disposition prévoyant l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents.

Les appelants n’ont avancé aucun argument convaincant à l’appui de leur thèse selon laquelle les dispositions en vigueur opèrent une discrimination contre les couples homosexuels. Même dans le cas d’un couple hétérosexuel, le seul lien juridique pouvant être rompu en cas d’adoption d’un enfant de l’un des membres du couple est celui qui existe entre l’enfant et le parent du même sexe que le parent adoptif. En pareille hypothèse, l’enfant demeure sous la responsabilité de deux parents de sexe opposé. Cette circonstance, importante pour le développement de l’enfant, ne se retrouve pas en cas d’adoption de celui-ci par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. Dans ces conditions, il n’est pas établi que pareille situation soit constitutive d’une différence de traitement injustifiée. En outre,la Coureuropéenne des droits de l’homme a rappelé, dans l’arrêt cité par les appelants (Karner c. Autriche, 24 juillet 2003), qu’une différence de traitement opérée à l’égard de personnes vivant une relation homosexuelle n’est discriminatoire que si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, que seules des considérations très fortes peuvent l’amener à estimer une différence de traitement compatible avecla Conventionet que les différences fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des raisons particulièrement graves. Cela étant,la Coura aussi expressément reconnu dans l’arrêt Karner que la protection de la « famille traditionnelle » constitue en principe une raison importante et légitime susceptible de justifier une différence de traitement par le législateur national, tout en jugeant que le but consistant à protéger la famille au sens traditionnel du terme est assez abstrait et qu’une grande variété de mesures concrètes peuvent être utilisées pour le réaliser. Après avoir indiqué que l’exclusion des personnes vivant une relation homosexuelle du champ d’application de certaines dispositions légales ne pouvait se justifier que par des motifs impérieux,la Coura considéré qu’aucun motif de cette nature n’avait été invoqué dans l’affaire en question, où était en cause le droit du partenaire survivant d’un couple homosexuel à la transmission du bail contracté par le défunt.

Cela étant, la thèse des appelants ne trouve aucun appui dans l’arrêt en question.La Courreconnaissant aux Etats le droit d’introduire dans leur ordre juridique des mesures de protection de la « famille traditionnelle », il convient de respecter la position de l’ordre juridique autrichien selon laquelle, conformément à la réalité biologique, un enfant mineur doit par principe avoir pour parents deux personnes de sexe opposé. En conséquence, le tribunal estime qu’en ne prévoyant pas l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents, opération qui romprait le lien de l’enfant avec le parent du sexe opposé, le législateur poursuivait sans conteste un « but légitime ». De la même manière, on ne saurait dire qu’il n’existe pas un « rapport raisonnable de proportionnalité » entre ce but et les moyens employés pour l’atteindre. Contrairement aux allégations des appelants, cette position juridique n’est pas fondée sur les « préjugés de la majorité hétérosexuelle à l’égard de la minorité homosexuelle », mais elle vise simplement à garantir que les enfants mineurs grandissent en ayant des contacts réguliers tant avec leur parent de sexe féminin qu’avec leur parent de sexe masculin. Cet objectif est tout aussi respectable que la décision de la mère de l’enfant de vivre une relation homosexuelle. Dans ces conditions, rien ne justifie apparemment de priver l’enfant de ses liens familiaux avec son parent de l’autre sexe. Or c’est précisément ce que la mère de l’enfant et sa compagne ont cherché à obtenir en l’espèce et ce qu’elles continuent à revendiquer en cause d’appel.

En conséquence, au vu de l’ensemble de ces considérations, le présent appel doit être rejeté.

La recevabilité d’un pourvoi en cassation est régie par les articles 59 §§ 1 et 2 et 62 § 1 de la loi sur la procédure gracieuse. S’il est exact quela Coursuprême a déjà statué dans la présente affaire, sa décision concernait la légalité du transfert (partiel) de l’autorité parentale sur l’enfant au profit de la compagne de la mère de celui-ci. En revanche, à la connaissance du tribunal,la Coursuprême ne s’est jamais spécifiquement et expressément prononcée sur la question ici en débat, à savoir celle de la licéité de l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. C’est la raison pour laquelle le présent arrêt revêt une importance considérable du point de vue de l’unité du droit, de la sécurité juridique et de l’évolution du droit. »

19.  Les requérants se pourvurent en cassation devantla Coursuprême, alléguant que l’application faite par les tribunaux de l’article 182 § 2 du code civil aboutissait à une différence de traitement entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant biologique de son partenaire. Dans leur pourvoi, ils exposaient qu’alors qu’il était loisible aux couples hétérosexuels – même non mariés – de créer un lien de filiation supplémentaire entre l’enfant et le partenaire de l’un de ses parents cette faculté était refusée aux couples homosexuels parce qu’elle conduisait à substituer l’un des partenaires homosexuels à l’un des parents biologiques de l’enfant, et que cela avait pour effet d’exclure dans leur cas toute possibilité réelle de procéder à une adoption coparentale. Ils soutenaient que le tribunal régional avait cherché à justifier cette différence de traitement en évoquant les buts de protéger la famille – au sens traditionnel du terme – et de permettre à l’enfant de grandir sous la responsabilité d’un homme et d’une femme, mais qu’il n’avait pas établi que le refus d’ouvrir l’adoption coparentale aux familles homosexuelles était nécessaire à la réalisation de ces buts. Ils plaidaient que de récentes études démontraient que les couples homosexuels étaient tout aussi capables d’élever des enfants que les couples hétérosexuels, et que la question qui se posait en l’espèce n’était pas celle de savoir si l’enfant devait ou non être élevé dans une famille homosexuelle, puisque celui-ci faisait déjà partie de facto d’une telle famille, mais celle de savoir si le refus de reconnaître juridiquement le lien qui l’unissait à la première requérante était justifié. Ils considéraient que la nécessité d’opérer une distinction entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels n’avait pas été démontrée. Enfin, tout en concédant que nombre d’Etats européens réservaient l’adoption coparentale aux couples mariés, ils arguaient que les pays qui, comme l’Autriche, avaient décidé d’ouvrir cette possibilité aux couples non mariés ne pouvaient se fonder sur l’orientation sexuelle pour distinguer en la matière.

20.  Le 27 septembre 2006,la Coursuprême débouta les requérants de leur pourvoi en cassation. Elle s’exprima notamment comme suit :

«  est l’enfant biologique de la troisième demanderesse, Mme (…), et de M. (…) ; il est né le (…). Il est placé sous l’autorité parentale exclusive de sa mère. Celle-ci vit à (…) avec sa compagne (la première demanderesse) et . Les demandeurs ont sollicité l’homologation judiciaire d’une convention d’adoption conclue le 17 février 2005 entre la première demanderesse et l’enfant, représenté par sa mère, et dans laquelle la première demanderesse marquait sa volonté d’adopter l’enfant. Toutefois, cette convention prévoyait que la première demanderesse se substituerait au père biologique de l’enfant, et non à la mère de celui-ci. Les demandeurs souhaitaient que l’homologation judiciaire de leur convention eût pour effet de rompre les liens juridiques familiaux existant entre l’enfant et son père biologique ainsi qu’entre l’enfant et la famille de son père biologique tout en préservant l’ensemble des liens entre l’enfant et sa mère biologique. Par ailleurs, ils ont invité les tribunaux à passer outre au refus du père de l’enfant de consentir à cette mesure.

La juridiction de première instance a refusé d’homologuer la convention, estimant qu’il ressortait de l’article 182 du code civil que le législateur avait clairement prévu que l’adoption monoparentale rompait le lien juridique entre l’adopté et son parent du même sexe que son parent adoptif mais préservait le lien juridique avec son parent du sexe opposé . Elle a précisé que la loi ne permettait au juge de constater la rupture de ce dernier lien, non affecté par l’adoption en elle-même, que dans cette hypothèse. Elle a conclu à l’illicéité de la convention dont les demandeurs sollicitaient l’homologation, qui aurait conduit à l’adoption par une femme et à la rupture de ses liens avec son père biologique mais non avec sa mère biologique, ajoutant que cette conclusion était conforme àla Constitutionet, en particulier, aux articles 8 et 14 dela Conventioneuropéenne des droits de l’homme. Elle a précisé que la jurisprudence dela Coureuropéenne des droits de l’homme, considérant que la question de l’adoption par des homosexuels, sous l’effet d’une évolution des mentalités, traversait une phase de transition, accordait aux Etats membres une marge d’appréciation particulièrement étendue en la matière. Elle a conclu qu’il appartenait aux seuls Etats de décider de l’opportunité d’offrir à deux personnes du même sexe la possibilité de créer un lien juridique avec un enfant sur un pied d’égalité, dans les limites fixées par l’article 8 § 2 dela Convention, et que le droit autrichien excluait la mesure voulue par les demandeurs.

La juridiction d’appel a confirmé la décision rendue en première instance, estimant que la loi reposait manifestement sur le postulat voulant que le terme « parents » désigne nécessairement deux personnes de sexe opposé, ce que confirmerait selon elle la priorité accordée par principe aux parents biologiques sur d’autres personnes en matière d’autorité parentale. Elle a considéré qu’il en allait de même dans le domaine du droit de l’adoption, dont les règles lui paraissaient également fondées, conformément à la réalité biologique, sur le socle du couple composé de parents de sexe opposé. Elle a estimé que, en présence des deux parents de sexe opposé, il n’y avait pas lieu de prévoir une disposition autorisant le partenaire homosexuel de l’un d’entre eux à se substituer à l’autre, et qu’il n’y avait là nulle volonté de discrimination à l’encontre des couples homosexuels. Elle a ajouté que, en matière de droit de visite et d’hébergement également, il ne faisait aucun doute que les contacts personnels du mineur avec ses deux parents de sexe opposé, c’est-à-dire avec une femme (sa mère) et un homme (son père) responsables de lui, étaient hautement souhaitables pour son bon développement, le maintien de relations personnelles, au moins minimales, entre l’enfant et ses deux parents (biologiques) étant fortement recommandé et généralement exigé dans l’intérêt de l’épanouissement de l’enfant. Elle a jugé que ces considérations valaient aussi en matière d’adoption. Par ailleurs, elle a conclu, comme le premier juge, à l’absence de discrimination à l’égard des couples homosexuels au sens de la jurisprudence dela Coureuropéenne des droits de l’homme. A cet égard, elle a rappelé que suivant celle-ci une différence de traitement opérée à l’égard de personnes vivant une relation homosexuelle n’était discriminatoire que si elle ne reposait pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuivait pas un but légitime ou s’il n’y avait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé, et qu’une différence de traitement pouvait être réputée compatible avecla Conventionen présence d’éléments solides justifiant pareille appréciation. La juridiction d’appel a conclu à la légitimité du but poursuivi par le législateur autrichien, qui pour elle avait cherché à veiller à ce que, en grandissant, les enfants aient tant avec leur parent de sexe féminin qu’avec leur parent de sexe masculin les contacts réguliers nécessaires à leur développement. Elle a ajouté que cet objectif était tout aussi respectable que le choix de la mère de l’enfant de vivre une relation homosexuelle et estimé qu’il n’apparaissait pas justifié de priver l’enfant de ses liens familiaux avec son parent du sexe opposé.

Ayant constaté qu’il n’existait pas de jurisprudence sur la question de la licéité de l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents biologiques, la juridiction d’appel a estimé qu’il convenait d’autoriser les appelants à se pourvoir en cassation.

Le pourvoi des intéressés est recevable pour les motifs exposés par la cour d’appel, mais dépourvu de fondement.

L’article 179 § 2 du code civil énonce que nul ne peut être adopté par plusieurs personnes si ce n’est par deux époux. La doctrine a interprété cette disposition comme interdisant l’adoption – simultanée ou successive – par plusieurs personnes du même sexe (voir Schwimann in Schwimann, code civil § 179, point 6, et Hopf in Koziol/Bydlinksi/Bollenberger, § 179, point 2, cités dans un arrêt du tribunal régional de Vienne du 27 août 2001 – EFSlg 96.699).

La deuxième phrase de l’article 182 § 2 du code civil régit les effets de l’adoption monoparentale. Si l’enfant n’est adopté que par un adoptant (ou une adoptante), seuls les liens familiaux qui l’unissent à son père biologique (ou à sa mère biologique) et aux parents de celui-ci (ou de celle-ci) sont rompus. Il ressort clairement de la jurisprudence (ErlBem RV 107 BlgNR IX. GP, 21) que cette disposition doit être interprétée comme signifiant que les liens juridiques non patrimoniaux ne sont rompus qu’à l’égard du parent biologique auquel se substitue un parent adoptif du même sexe que lui. Concrètement, cela signifie notamment que l’adoption d’un enfant par une femme ne peut priver celui-ci de son père biologique (voir aussi : Schwimann in Schwimann, op. cit., § 182, alinéa 3 ; Stabentheiner in Rummel I § 182, alinéa 2).

Cette disposition ne peut recevoir l’interprétation extensive préconisée par les demandeurs au pourvoi, et il n’existe pas de lacune législative fortuite à laquelle il conviendrait de remédier par analogie. Selon la jurisprudence (op.cit., 11), l’adoption vise au premier chef à garantir le bien-être de l’enfant mineur (principe de protection). L’adoption doit être comprise comme un moyen approprié de confier à des individus aptes et responsables la garde et l’éducation d’enfants privés de parents, d’enfants issus de familles désunies, ou d’enfants qui, pour quelque raison que ce soit, ne peuvent recevoir une éducation correcte de leurs parents ou sont rejetés par eux. Cet objectif ne peut toutefois être atteint que si l’adoption permet de recréer autant que possible la situation que l’on retrouve dans une famille biologique.

Il ressort tout aussi clairement de la jurisprudence (6 Ob 179/05z) que le lien entre l’enfant et son parent adoptif doit être assimilé, du point de vue social et psychologique, à celui qui existe entre les parents biologiques et leurs enfants. Le modèle des rapports entre parents et enfants qui a cours en matière d’adoption de mineurs s’inspire des liens sociaux et psychologiques particuliers qui existent entre des parents et des jeunes gens proches de l’âge adulte. Ces rapports associent aux liens sociaux classiques de proximité physique et relationnelle (cohabitation, prise en charge des besoins physiques et psychologiques de l’enfant par les parents) des relations affectives analogues à l’amour que se portent mutuellement les parents et leurs enfants et confèrent aux premiers un rôle spécifique de mentors et de référents.

L’article 182 § 2 du code civil interdit de manière générale (et pas seulement aux couples homosexuels) tant l’adoption par un homme aussi longtemps que subsiste le lien de filiation entre l’enfant à adopter et le père biologique de celui-ci que l’adoption d’un enfant par une femme aussi longtemps que subsiste le lien de filiation entre celui-ci et sa mère biologique. Il résulte donc de l’article 182 § 2 que la personne qui adopte seule un enfant ne se substitue pas indifféremment à l’un ou à l’autre des parents, mais seulement au parent du même sexe qu’elle. Il s’ensuit que l’adoption d’un enfant par la compagne de sa mère biologique est juridiquement impossible.

Contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, cette disposition satisfait aussi au critère de conformité avecla Constitution(la perspective des droits fondamentaux). Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 26 février 2002 en l’affaire Fretté c. France, où elle était appelée à examiner si le refus par les autorités d’autoriser l’adoption d’un enfant par un homme homosexuel s’analysait en une discrimination,la Coureuropéenne des droits de l’homme a jugé que l’adoption consistait à « donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille » et déclaré que l’Etat devait veiller à ce que les personnes choisies comme adoptantes soient celles qui puissent offrir à l’enfant, sur tous les plans, les conditions d’accueil les plus favorables. Après avoir relevé notamment les profondes divergences des opinions publiques nationales et internationales sur la question des conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels et constaté l’insuffisance du nombre d’enfants adoptables par rapport aux demandes,la Coura estimé que les Etats devaient se voir accorder une ample marge d’appréciation en la matière. Elle a jugé que le refus d’autoriser une adoption par un homosexuel n’était pas contraire à l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8 dès lors qu’il poursuivait un but légitime, en l’occurrence la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, et qu’il ne transgressait pas le principe de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.

Les demandeurs n’ont pas établi que les dispositions de l’article 182 § 2 du code civil autrichien outrepassent la marge d’appréciation reconnue parla Coureuropéenne ou qu’elles enfreignent le principe de proportionnalité, et il n’existe aucun autre élément propre à faire conclure en ce sens. Dans ces conditions,la Coursuprême n’a aucun doute sur la conformité de cette disposition avecla Constitution, qui se trouve mise en cause par les demandeurs.

L’adoption voulue par les demandeurs étant juridiquement impossible, il n’apparaît pas nécessaire de rechercher si les conditions dans lesquelles il peut être passé outre à l’absence de consentement du père, mesure exceptionnelle prévue par l’article 181 § 3 du code civil, sont réunies. »

L’arrêt dela Coursuprême fut notifié à l’avocat des requérants le 24 octobre 2006.

II.  LE DROIT ETLA PRATIQUE INTERNESPERTINENTS

A.  Dispositions concernant l’adoption

21.  Le code civil (Allgemeines Bürgerliches Gesetzbuch) comporte des dispositions qui définissent les termes « mère » et « père ».

L’article 137b se lit ainsi :

« La mère d’un enfant est la femme qui lui a donné naissance. »

L’article 138 énonce :

« 1)  Le père d’un enfant est

1.  l’homme qui était marié avec la mère de l’enfant au moment de la naissance ou l’était lorsqu’il est décédé, à condition que son décès soit intervenu 300 jours au plus avant la naissance, ou

2.  l’homme qui a reconnu sa paternité, ou

3.  l’homme dont la paternité a été établie en justice. »

22.  Les dispositions suivantes du code civil relatives à l’adoption sont pertinentes en l’espèce.

L’article 179, en ses passages pertinents, se lit ainsi :

« 1)  Les personnes ayant l’âge requis et la pleine capacité juridique (…) peuvent adopter. L’adoption a pour effet de créer un lien de filiation adoptive entre l’enfant adopté et le parent adoptif.

2)  L’adoption d’un enfant par plus d’une personne, qu’elle soit simultanée ou successive, étant entendu que, dans ce dernier cas, le premier lien d’adoption subsiste, n’est autorisée que si les parents adoptifs forment un couple marié. En principe, l’adoption par un couple marié doit être conjointe. Par exception, un époux peut procéder seul à une adoption si l’enfant à adopter est l’enfant biologique de son conjoint, si son conjoint n’a pas l’âge requis ou la différence d’âge requise avec l’adopté, si le lieu de résidence de son conjoint est inconnu depuis au moins un an, s’il n’y a plus de communauté de vie entre les époux depuis au moins trois ans, ou si des motifs analogues et particulièrement importants justifient l’adoption par un seul des époux. »

23.  Selon l’article 179a du code civil, l’adoption requiert une convention écrite entre l’adoptant et l’adopté (qui doit être représenté par son représentant légal s’il est mineur) et l’homologation de cette convention par le tribunal compétent.

24.  Le tribunal homologue la convention après avoir vérifié qu’elle répond à l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il existe entre les personnes qui y sont parties un lien équivalent à celui qui unit un parent à son enfant biologique ou que les parties entendent créer un tel lien (article 180a du code civil).

25.  Les dispositions pertinentes de l’article 181 du code civil, tel qu’en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :

« 1)  L’homologation de la convention d’adoption ne peut être accordée que si les personnes suivantes y consentent :

1.  les parents de l’enfant mineur à adopter ;

2.  le conjoint de l’adoptant ;

3.  le conjoint de la personne à adopter ;

4.  l’enfant à adopter dès lors qu’il est âgé d’au moins quatorze ans.

(…)

3)  Si l’une des parties le lui demande, le juge passe outre au refus de l’une des personnes visées aux alinéas 1 à 3 du premier paragraphe du présent article dès lors que ce refus n’est pas justifié par des motifs légitimes. »

26.  Selon la jurisprudence des juridictions autrichiennes, la mesure prévue par l’article 181 § 3 du code civil, qui permet au juge de passer outre au refus d’une partie de consentir à l’adoption, revêt un caractère exceptionnel et ne peut être prise que dans le cas où l’intérêt de l’enfant à être adopté prévaut clairement sur les intérêts de celui de ses parents biologiques qui est opposé à l’adoption, notamment son intérêt à entretenir des relations avec l’enfant. Elle peut aussi être envisagée lorsque le refus n’est pas justifié sur le plan moral. Tel est notamment le cas lorsque le parent opposé à l’adoption manifeste une vive hostilité à l’égard de la famille adoptante ou lorsque ses manquements flagrants à ses obligations légales envers l’enfant compromettent durablement le développement de celui-ci ou l’auraient durablement compromis si un tiers n’était pas intervenu.

27.  L’article 182 du code civil, qui régit les effets de l’adoption, se lit comme suit :

« 1)  L’adoption créé les mêmes droits que ceux découlant de la filiation légitime entre, d’une part, l’adoptant et ses descendants, et, d’autre part, l’adopté et ceux de ses descendants qui sont mineurs au moment où l’adoption prend effet.

2)  En cas d’adoption d’un enfant par un couple marié, les liens juridiques familiaux – autres que le lien de filiation lui-même (article 40) – existant entre, d’une part, les parents biologiques et les membres de leur famille, et, d’autre part, l’enfant adopté et ceux de ses descendants qui sont mineurs au moment où l’adoption prend effet, sont rompus à ce moment, sous réserve des exceptions prévues à l’article 182a. Dans le cas où l’enfant n’est adopté que par un père adoptif (ou une mère adoptive), seuls ses liens familiaux avec son père biologique (ou sa mère biologique) et la famille de celui-ci (ou de celle-ci) sont rompus. Dans le cas où les liens avec l’autre parent subsistent après l’adoption, le juge les déclare rompus si le parent concerné y consent. La rupture des liens intervient à la date où la déclaration de consentement est formulée, sans pouvoir être antérieure à la date de prise d’effet de l’adoption. »

Il ressort de l’arrêt rendu parla Coursuprême dans la présente affaire que l’article 182 § 2 est interprété comme excluant l’adoption par un membre d’un couple homosexuel de l’enfant de son partenaire.

28.  L’adoption a pour effet de rompre tous les liens familiaux, excepté celui de filiation, entre l’enfant adopté et son ou ses parents biologiques. Il en résulte notamment que ces derniers perdent tous leurs droits parentaux, notamment le droit de garde, le droit de visite et le droit d’être consultés et informés (voir ci-dessous).

29.  Toutefois, le ou les parents biologiques de l’enfant adopté demeurent débiteurs d’une obligation subsidiaire d’entretien à l’égard de celui-ci (article 182a du code civil). Par ailleurs, l’article 182b prévoit le maintien d’un lien en matière successorale : l’adopté conserve des droits successoraux à l’égard de son ou ses parents biologiques, et ceux-ci, ainsi que leurs descendants, viennent à la succession de l’adopté à titre subsidiaire, les droits successoraux des parents adoptifs et de leurs descendants prévalant.

30.  Il ressort des dispositions du code civil exposées ci-dessus que l’adoption peut revêtir deux formes en droit autrichien : celle de l’adoption conjointe par un couple, réservée aux couples mariés, et celle de l’adoption monoparentale. Cette dernière forme d’adoption est ouverte aux hétérosexuels comme aux homosexuels, qu’ils vivent, dans le cas des premiers, dans le cadre d’un couple marié (mais alors les possibilités qui leur sont offertes d’adopter seuls un enfant sont fortement restreintes), en union libre ou en célibataires, ou dans le cas des seconds, dans le cadre d’un partenariat enregistré, en union libre ou comme célibataires.

31.  L’adoption coparentale, c’est-à-dire l’adoption par une personne de l’enfant biologique de son partenaire, est ouverte aux couples hétérosexuels (mariés ou non), mais non aux couples homosexuels.

32. Un projet de loi modifiant les dispositions du code civil qui régissent les rapports entre parents et enfants ainsi que le droit au nom et remaniant certains autres textes (Kindschaftsrechts- und Namensrechtsänderungs-gesetz) est actuellement à l’examen. Ce projet ne comporte aucune proposition d’amendement des dispositions dont il est question en l’espèce, notamment des articles 179 à 182 du code civil. Les amendements proposés impliquent qu’elles soient renumérotées, mais leur libellé demeurera inchangé.

B.  Dispositions concernant les couples homosexuels

33.  Il ressort de l’article 44 du code civil que les couples homosexuels n’ont pas accès au mariage (voir, sur ce point, Schalk et Kopf c. Autriche, no 30141/04, CEDH 2010). La disposition en question est ainsi libellée :

« Le contrat de mariage constitue la base des relations familiales. En vertu de pareil contrat, deux personnes de sexe opposé déclarent leur intention légitime de vivre ensemble et d’être unies par les liens indissolubles du mariage, de procréer et d’élever des enfants et de se porter aide et assistance mutuelles. »

34.  Entrée en vigueur le 1er janvier 2010, la loi sur le partenariat enregistré offre aux couples homosexuels la possibilité de conclure un partenariat enregistré.

35.  L’article 2 de cette loi se lit ainsi :

« Un partenariat enregistré ne peut être conclu que par deux personnes du même sexe (partenaires enregistrés). Ces personnes s’engagent ainsi à nouer une relation durable comportant des droits et obligations mutuels. »

36.  Les règles relatives à la conclusion d’un partenariat enregistré, à ses effets et à sa dissolution sont proches de celles qui régissent le mariage (pour plus de détails, voir Schalk et Kopf, précité, §§ 16-23). A l’instar des couples mariés, les partenaires enregistrés doivent à tous égards vivre comme des époux, partager un domicile commun et se respecter et s’assister mutuellement (article 8 §§ 2 et 3). Ils ont les mêmes obligations alimentaires que les époux (article 12). La loi sur le partenariat enregistré apporte aussi à la législation en vigueur toute une série de modifications destinées à conférer aux partenaires enregistrés le même statut que les époux dans diverses autres branches du droit telles que le droit des successions, le droit du travail, le droit social et de la sécurité sociale, le droit fiscal, le droit sur la protection des données et le service public, les questions de passeport et de déclaration domiciliaire ainsi que le droit des étrangers.

37.  Toutefois, il subsiste certaines différences entre le mariage et le partenariat enregistré, la plus importante ayant trait aux droits parentaux. Par exemple, l’assistance médicale à la procréation n’est ouverte qu’aux couples hétérosexuels, mariés ou non (article 2 § 1 de la loi sur la procréation artificielle – Fortpflanzungsmedizingesetz).

38.  En outre, les partenaires enregistrés ne sont pas autorisés à procéder à une adoption conjointe ou à une adoption coparentale.

39.  En effet, d’après l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat enregistré,

« Un partenaire enregistré ne peut adopter un enfant conjointement avec son partenaire ni adopter l’enfant de celui-ci. »

40.  En revanche, un partenaire enregistré peut adopter seul un enfant. Une modification apportée à l’article 181 § 1 alinéa 2 du code civil au moment de l’adoption de la loi sur le partenariat enregistré énonce qu’un partenaire enregistré désireux d’adopter un enfant doit y être autorisé par son partenaire.

41.  Dans sa partie générale, le rapport explicatif sur le projet de loi (Erläuterungen zur Regierungsvorlage, annexe no 485 aux actes du Conseil national, XXIV GP) souligne que la loi sur le partenariat enregistré vise à offrir aux couples homosexuels un mécanisme officiel reconnaissant leur relation et donnant à celle-ci un effet juridique, ce notamment pour tenir compte des évolutions intervenues dans d’autres Etats européens. Il en ressort toutefois que le législateur n’a pas voulu introduire de nouvelles dispositions concernant les enfants ou modifier la législation applicable en la matière. A cet égard, le rapport précise que l’adoption conjointe d’un enfant par des partenaires enregistrés est exclue, de même que l’adoption par un partenaire enregistré de l’enfant de l’autre.

42.  Le commentaire relatif à l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat enregistré indique que l’interdiction de l’adoption dans le cas prévu par cette disposition avait été demandée à plusieurs reprises lors de la procédure de consultation. En outre, ce commentaire souligne que les arrêts rendus parla Coureuropéenne des droits de l’homme dans les affaires E.B. c. France (, no 43546/02, 22 janvier 2008) et Fretté (précitée) ne sont pas pertinents en ce qui concerne ledit texte dès lors qu’ils ne portent que sur la question des capacités éducatives des requérants et que, en la matière régie par ce texte, le législateur dispose d’une totale liberté. Il y est en outre précisé que, dans le cas d’un partenariat enregistré, l’adoption coparentale et l’adoption conjointe sont toujours exclues, le droit autrichien de l’adoption interdisant qu’un enfant ait, du point de vue juridique, deux pères ou deux mères.

43.  Le commentaire relatif à l’amendement apporté à l’article 181 § 1, alinéa 2, du code civil se borne à énoncer que l’absence dans le projet de loi d’une quelconque proposition d’amendement à cette disposition résulte d’une omission à laquelle il a été ultérieurement remédié.

C.  Dispositions concernant les enfants nés hors mariage

44.  En application de l’article 166 du code civil, un enfant né hors mariage est placé sous l’autorité parentale exclusive de sa mère (ce qui signifie qu’elle en a la garde, qu’elle doit veiller à son bien-être et à son éducation, qu’elle en est la représentante légale et qu’elle administre ses biens).

45.  En vertu de l’article 167 du même code, lorsque les parents d’un enfant né hors mariage cohabitent, ils peuvent décider d’exercer conjointement l’autorité parentale sur leur enfant. Un amendement entré en vigueur le 1er juillet2001 aétendu cette faculté aux parents qui ne cohabitent pas. Toute convention d’exercice conjoint de l’autorité parentale doit être homologuée par le juge, qui recherchera si la convention sert l’intérêt supérieur de l’enfant.

46.  Les deux parents sont tenus de pourvoir à l’entretien de l’enfant (article 140 § 1 du code civil). L’obligation d’entretien s’exécute en principe en nature. Toutefois, le parent qui ne cohabite pas avec l’enfant doit exécuter son obligation d’entretien sous la forme d’une pension alimentaire.

47.  L’article 148 § 1 du code civil attribue un droit de visite et d’hébergement au parent qui ne cohabite pas avec l’enfant. Depuis le 1er juillet 2001, cette prérogative n’appartient plus au seul parent, mais aussi à l’enfant lui-même. Il incombe au parent et à l’enfant de convenir des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement. S’ils ne parviennent pas à s’accorder sur ce point, il reviendra au juge, à la demande de l’une des personnes concernées, d’aménager le droit de visite et d’hébergement en fonction des besoins et des souhaits de l’enfant, conformément à l’intérêt supérieur de celui-ci.

48.  En outre, aux termes de l’article 178 § 1 du code civil, le parent qui n’a pas l’autorité parentale a le droit d’être informé relativement à différentes questions importantes concernant l’enfant, certaines décisions touchant à ces questions ne pouvant d’ailleurs être prises sans son approbation.

III.  conventions internationales et documents du Conseil de l’Europe

A.  La Conventionrelative aux droits de l’enfant

49.  Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989 et entrée en vigueur le 2 septembre 1990,la Conventionrelative aux droits de l’enfant a été ratifiée par tous les Etats membres du Conseil de l’Europe. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

Article 3

« 1.  Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2.  Les Etats parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

3.  Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l’existence d’un contrôle approprié. »

Article 21

« Les Etats parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et :

a)  Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ;

(…) »

B.  La Conventioneuropéenne en matière d’adoption des enfants (révisée en 2008)

50.  Ouverte à la signature le 27 novembre 2008,la Conventioneuropéenne (révisée) en matière d’adoption des enfants est entrée en vigueur le 1er septembre 2011. Elle a été ratifiée par sept Etats, à savoir le Danemark, l’Espagne,la Finlande,la Norvège, les Pays-Bas,la Roumanieet l’Ukraine. L’Autriche ne l’a ni ratifiée ni signée.

51.  Il ressort du préambule de cet instrument que certaines dispositions dela Conventioneuropéenne en matière d’adoption des enfants de 1967 ont été révisées notamment au motif qu’elles étaient dépassées et incompatibles avec la jurisprudence dela Coureuropéenne des droits de l’homme. Les passages pertinents dela Conventionde 2008 se lisent ainsi ;

Article 4 – Prononcé de l’adoption

« 1.  L’autorité compétente ne prononce l’adoption que si elle a acquis la conviction que l’adoption est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

2.  Dans chaque cas, l’autorité compétente attache une importance particulière à ce que l’adoption apporte à l’enfant un foyer stable et harmonieux. »

Article 7 – Conditions de l’adoption

« 1.  La législation permet l’adoption d’un enfant :

a.  par deux personnes de sexe différent

i.  qui sont mariées ensemble ou,

ii.  lorsqu’une telle institution existe, qui ont contracté un partenariat enregistré ;

b.  par une seule personne.

2.  Les Etats ont la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples homosexuels mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré ensemble. Ils ont également la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable. »

Article 11 – Effets de l’adoption

« 1.  Lors de l’adoption, l’enfant devient membre à part entière de la famille de l’adoptant ou des adoptants et a, à l’égard de l’adoptant ou des adoptants et à l’égard de sa ou de leur famille, les mêmes droits et obligations que ceux d’un enfant de l’adoptant ou des adoptants dont la filiation est légalement établie. L’adoptant ou les adoptants assument la responsabilité parentale vis-à-vis de l’enfant. L’adoption met fin au lien juridique existant entre l’enfant et ses père, mère et famille d’origine.

2.  Néanmoins, le conjoint, le partenaire enregistré ou le concubin de l’adoptant conserve ses droits et obligations envers l’enfant adopté si celui ci est son enfant, à moins que la législation n’y déroge.

(…) »

52.  Sous la rubrique « Considérations générales », le rapport explicatif àla Conventionde 2008 énonce ce qui suit :

« 14.  D’un certain point de vue, la bonne pratique de l’adoption ne comporte qu’un seul principe essentiel, à savoir que l’adoption doit avoir pour but l’intérêt supérieur de l’enfant, comme le stipule le paragraphe 1 de l’article 4 dela Convention(…) »

53.  Les passages pertinents en l’espèce des observations de ce rapport figurant sous la rubrique « article 7 – Conditions de l’adoption » se lisent ainsi :

« 42.  Le présent article prévoit l’adoption soit par un couple, soit par une seule personne.

43.  Alors que le champ d’application dela Conventionde 1967 est limité aux couples hétérosexuels mariés, le champ d’application dela Conventionrévisée s’étend aux couples hétérosexuels non mariés qui ont conclu un partenariat enregistré dans les Etats reconnaissant cette institution. Cette disposition prend en compte l’évolution observée dans de nombreux Etats.

(…)

45.  Concernant le paragraphe 2, il a été relevé que deux Etats parties (la Suèdeen 2002 et le Royaume-Uni en 2005) ont dénoncéla Conventionau motif que les partenaires enregistrés de même sexe, conformément à leur législation nationale, pouvaient faire une demande conjointe pour devenir parents adoptifs, ce qui contrevenait àla Convention. Dessituations analogues dans d’autres pays pourraient également déboucher sur la dénonciation dela Conventionde 1967. Néanmoins, il a aussi été relevé que le droit pour des partenaires enregistrés de même sexe d’adopter conjointement un enfant n’était pas une solution qu’un grand nombre d’Etats parties étaient prêts à accepter à l’heure actuelle.

46.  Dans ces conditions, le paragraphe 2 permet aux Etats qui le souhaitent d’étendre la portée dela Conventionrévisée à l’adoption par des couples de même sexe, qu’ils soient mariés ou partenaires enregistrés. A cet égard, il n’est pas rare que des instruments du Conseil de l’Europe introduisent des dispositions novatrices tout en laissant la liberté aux Etats parties de décider d’appliquer lesdites dispositions (…).

47.  Les Etats ont également toute latitude pour étendre la portée dela Conventionaux couples de sexe différent ou de même sexe vivant ensemble dans une relation stable. Il appartient aux Etats parties d’établir les critères d’évaluation de la stabilité d’une telle relation. »

C.  Recommandation du Comité des Ministres

54.  Adoptée le 31 mars 2010,la Recommandation CM/Rec(2010)5 du Comité des Ministres aux Etats membres sur des mesures visant à combattre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre porte sur un large éventail de domaines dans lesquels les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles ou transgenres peuvent être confrontées à la discrimination. En ce qui concerne le « droit au respect de la vie privée et familiale », cette recommandation énonce ce qui suit :

« 23.  Lorsque la législation nationale confère des droits et des obligations aux couples non mariés, les Etats membres devraient garantir son application sans aucune discrimination à la fois aux couples de même sexe et à ceux de sexes différents, y compris en ce qui concerne les prestations de pension de retraite du survivant et les droits locatifs.

24.  Lorsque la législation nationale reconnaît les partenariats enregistrés entre personnes de même sexe, les Etats membres devraient viser à ce que leur statut juridique, ainsi que leurs droits et obligations soient équivalents à ceux des couples hétérosexuels dans une situation comparable.

25.  Lorsque la législation nationale ne reconnaît ni confère de droit ou d’obligation aux partenariats enregistrés entre personnes de même sexe et aux couples non mariés, les Etats membres sont invités à considérer la possibilité de fournir, sans aucune discrimination, y compris vis-à-vis de couples de sexes différents, aux couples de même sexe des moyens juridiques ou autres pour répondre aux problèmes pratiques liés à la réalité sociale dans laquelle ils vivent.

(…)

27.  Tenant compte du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la considération première dans les décisions en matière d’adoption d’un enfant, les Etats membres dont la législation nationale permet à des personnes célibataires d’adopter des enfants devraient garantir son application sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre. »

IV.  Droit comparé

A.  L’étude du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe

55.  Une étude récente du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe intitulée « La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en Europe » (éditions du Conseil de l’Europe, juin 2011) comporte notamment les passages suivants :

« Trois possibilités s’offrent aux personnes LGBT qui veulent adopter un enfant. Tout d’abord, une femme lesbienne ou un homme gay célibataire peut déposer une demande pour devenir parent adoptif (adoption par une personne célibataire). Autre possibilité, une personne peut adopter les enfants biologiques ou adoptés de son/sa partenaire de même sexe, sans que le premier parent ne perde ses droits légaux. Cette procédure, appelée « adoption par le second parent », donne à l’enfant deux représentants légaux. L’adoption par le second parent protège aussi les parents en leur donnant, à eux deux, le statut de parent reconnu par la loi. En cas de non-adoption par le second parent, l’enfant et le parent non biologique sont privés de certains droits si le parent biologique décède ou en cas de divorce, de séparation ou d’autres circonstances empêchant le parent d’exercer ses responsabilités parentales. L’enfant n’a pas non plus le droit d’hériter du parent non biologique. En outre, sur un plan pratique, le droit au congé parental est exclu en cas de non-adoption par le second parent, ce qui peut constituer un préjudice financier pour les familles LGBT. La troisième procédure est l’adoption conjointe d’un enfant par un couple de même sexe.

Dix Etats membres autorisent l’adoption par le second parent pour les couples de même sexe (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Islande, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède). A l’exception de l’Allemagne et dela Finlande, ces Etats membres autorisent aussi l’adoption conjointe pour les couples de même sexe. En Autriche et en France, l’adoption par le second parent n’est pas possible, mais les couples de même sexe ayant conclu un partenariat enregistré peuvent bénéficier d’un certain degré d’autorité et de responsabilités parentales. Trente-cinq Etats membres ne donnent pas accès à l’adoption conjointe ni à l’adoption par le second parent : Albanie, Andorre, Arménie, Azerbaïdjan, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Chypre, Croatie, Estonie, « l’ex-République yougoslave de Macédoine », Fédération de Russie, Géorgie, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Malte, Moldova, Monaco, Monténégro, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Saint-Marin, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suisse, Turquie et Ukraine (…) »

B.  Autres éléments de droit comparé

56.  Les données dontla Courdispose, notamment celles contenues dans une étude portant sur trente-neuf Etats membres du Conseil de l’Europe, font apparaître qu’aux dix pays ouvrant l’adoption coparentale aux couples homosexuels mentionnés dans l’étude du Commissaire aux droits de l’homme – l’Allemagne,la Belgique, le Danemark, l’Espagne,la Finlande, l’Islande,la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni (hormis l’Irlande du Nord) etla Suède– s’ajoutela Slovénie, dont les tribunaux ont récemment autorisé cette forme d’adoption.

57.  La majorité (vingt-quatre) des trente-neuf Etats membres du Conseil de l’Europe étudiés réservent l’adoption coparentale aux couples mariés. Dix Etats membres –la Belgique, l’Espagne, l’Islande, les Pays-Bas, le Portugal,la Roumanie, le Royaume-Uni (sauf l’Irlande du Nord),la Russie,la Slovénieet l’Ukraine – étendent l’adoption coparentale aux couples non mariés, mais seuls six d’entre eux ne font pas de distinction entre couples hétérosexuels et couples homosexuels à cet égard, les quatre autres (le Portugal,la Roumanie,la Russieet l’Ukraine) – à l’instar de l’Autriche – réservant cette forme d’adoption aux couples hétérosexuels non mariés et l’interdisant aux couples homosexuels non mariés.

Les autres Etats étudiés ont apporté différentes réponses à la question de l’adoption coparentale, telle celle qui consiste à ouvrir cette possibilité aux couples mariés ainsi qu’aux partenaires enregistrés (solution retenue notamment par l’Allemagne etla Finlande) et à l’interdire aux couples non mariés, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels.

EN DROIT

I.  SURLA VIOLATION ALLÉGUÉEDE L’ARTICLE 14 DELA CONVENTION COMBINéavec l’article 8

58.  Invoquant l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8, les requérants se disent victimes, dans la jouissance de leur droit au respect de leur vie familiale, d’une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle des première et troisième d’entre eux. D’après eux, il n’existe aucun motif raisonnable et objectif propre à justifier que l’on ouvre l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels – mariés ou non – mais qu’on l’interdise aux couples homosexuels.

L’article 8 dela Conventionse lit ainsi :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

L’article 14 dela Conventionest ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (…) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

A.  Sur la recevabilité

59.  Le Gouvernement soutient qu’aucune question de discrimination ne se pose en l’espèce et que la requête doit donc être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement. A cet égard, il fait valoir que les juridictions internes ont refusé d’autoriser l’adoption du deuxième requérant aux motifs que le père de celui-ci s’y opposait et qu’elle n’était pas dans l’intérêt de l’enfant. Par conséquent, le fait que l’adoption par un homosexuel de l’enfant de son partenaire soit juridiquement impossible au regard de l’article 182 § 2 du code civil ne serait pas entré en ligne de compte. Ce serait donc un contrôle abstrait de cette disposition que les requérants inviteraientla Courà effectuer.

60.  Il apparaît ainsi que le Gouvernement plaide que les intéressés ne peuvent se prétendre victimes de la violation alléguée, au sens de l’article 34 dela Convention, faute pour eux d’avoir été directement touchés par la législation critiquée en l’espèce.La Courrelève toutefois qu’il n’a pas formellement soulevé d’exception d’irrecevabilité à cet égard. Elle estime que les arguments susmentionnés doivent être traités dans le cadre de l’examen du fond de l’affaire.

61.  La Courconstate que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 §3 a) dela Conventionet qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle la déclare donc recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

a)  Les requérants

62.  Les requérants soutiennent que leur situation est comparable à celle d’un couple hétérosexuel élevant des enfants. Ils s’appuient sur de nombreuses études scientifiques aboutissant à la conclusion que les enfants s’épanouissent tout aussi bien dans des familles homoparentales que dans des familles hétéroparentales.

63.  En droit autrichien, l’adoption coparentale serait ouverte aux couples mariés, mais les couples homosexuels n’auraient pas accès au mariage et, même en cas de conclusion d’un partenariat enregistré, cette forme d’adoption leur serait expressément interdite par l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat enregistré. Cela étant, les requérants soulignent qu’ils ne revendiquent pas un droit qui serait réservé aux familles fondées sur le mariage.

64.  Le problème fondamental en l’espèce serait celui de l’inégalité de traitement entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels non mariés. Le droit autrichien ouvrirait l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels non mariés, mais il l’interdirait aux couples homosexuels non mariés. Il y aurait là une différence cruciale avec l’affaire Gas et Dubois c. France (no 25951/07, 15 mars 2012), le droit français réservant l’adoption coparentale aux couples mariés. La question soulevée par la présente affaire serait donc analogue à celle qui se posait dans l’affaire Karner c. Autriche (no 40016/98, CEDH 2003-IX) où la législation autrichienne déniait aux couples homosexuels un droit reconnu aux couples hétérosexuels non mariés. En outre, seuls quatre Etats membres du Conseil de l’Europe auraient comme l’Autriche adopté la position consistant à ouvrir l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels non mariés tout en l’interdisant aux couples homosexuels. La grande majorité des Etats membres réserveraient cette forme d’adoption aux couples mariés ou l’étendraient aux couples non mariés quelle que soit leur orientation sexuelle.

65.  Les requérants considèrent qu’ils ont incontestablement fait l’objet d’une différence de traitement dans la procédure critiquée. Devant les juridictions internes, ils auraient soutenu que le refus du père du deuxième requérant de consentir à l’adoption était injustifié parce que contraire à l’intérêt de l’enfant, que l’intérêt de ce dernier à être adopté devait prévaloir sur celui de son père à s’y opposer et que, dès lors, le tribunal de district aurait dû passer outre à cette opposition comme le permettait l’article 181 § 3 du code civil. D’après les requérants, si le tribunal de district avait été saisi d’une demande identique par un couple hétérosexuel, il l’aurait examinée au fond et aurait dû rendre une décision distincte concernant le refus du père de l’enfant. Or cette juridiction aurait opposé une fin de non-recevoir à la demande des intéressés au motif que l’adoption envisagée était en tout état de cause impossible au regard du droit autrichien.La Coursuprême aurait expressément approuvé cette position.

66.  Les requérants soulignent que c’est l’impossibilité absolue dans leur cas de procéder à une adoption qui se trouve au cœur de leur grief. La présente espèce s’apparenterait à l’affaire E.B. c. France (, no 43546/02, 22 janvier 2008) en ce que les première et troisième requérantes seraient, du fait de leur orientation sexuelle, privées de toute possibilité effective d’adopter.

67.  Suivant la thèse des requérants, dès lors que le Gouvernement soutient que le droit autrichien de l’adoption vise à protéger l’intérêt de l’enfant, il lui incombe, d’après la jurisprudence dela Cour, de démontrer que l’exclusion des couples homosexuels du champ de l’adoption coparentale est nécessaire à la réalisation de cet objectif. Or il existerait au sein de la communauté scientifique un large consensus pour considérer que les couples homosexuels sont tout aussi capables que les couples hétérosexuels d’assurer aux enfants un développement harmonieux. Les requérants ont produit devantla Courtoute une série de publications à l’appui de leur thèse. A l’audience, ils se sont référés en particulier à une vaste étude intitulée « La vie des enfants élevés par des partenaires homosexuels » (Rupp Martina (éd.), Die Lebenssituation von Kindern in gleichgeschlechtlichen Partnerschaften, Cologne, 2009), qui avait été réalisée à la demande du ministère dela Justiceallemand.

68.  Quant à l’argument du Gouvernement selon lequel le droit autrichien tend à empêcher qu’un enfant ait, du point de vue juridique, deux pères ou deux mères, force serait pour les requérants de constater que, bien que formant depuis longtemps une famille de fait, ils ne peuvent toujours pas obtenir la reconnaissance juridique de leur vie familiale. En outre, il ne serait pas rare qu’un enfant adopté ait deux pères ou deux mères au regard du droit autrichien. En vertu de l’article 182 § 2 du code civil, l’adoption romprait les liens familiaux existant entre l’enfant adopté et son ou ses parents biologiques, mais elle laisserait subsister entre eux des obligations d’entretien et des droits successoraux réciproques, quoique subsidiaires par rapport à ceux des parents adoptifs.

69.  Il ressortirait dela Conventioneuropéenne de 2008 en matière d’adoption des enfants, dela Recommandationdu Comité des Ministres du 31 mars 2010 et dela Conventiondes Nations unies relative aux droits de l’enfant que le principe fondamental en matière d’adoption est l’intérêt supérieur de l’enfant, et non le sexe ou l’orientation sexuelle des parents. Enfin, contrairement à la thèse du Gouvernement, le droit autrichien n’offrirait pas d’autres voies de reconnaissance juridique des liens entre un enfant et le partenaire homosexuel de l’un de ses parents.

b)  Le Gouvernement

70.  Le Gouvernement ne conteste pas que l’article 14 combiné avec l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce, et il admet que les relations unissant les trois requérants relèvent de la notion de vie familiale. Toutefois, il estime que les faits de l’espèce diffèrent de ceux qui étaient à l’origine de l’affaire Gas et Dubois (précitée) en ce que le deuxième requérant aurait un père avec qui il entretiendrait aussi des rapports familiaux.

71.  Considérant par ailleurs que la situation des requérants n’était pas comparable à celle d’un couple marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre, le Gouvernement invitela Courà s’en tenir aux conclusions auxquelles elle est parvenue dans l’arrêt Gas et Dubois (précité, §§ 66-68).

72.  Il reconnaît en revanche que les première et troisième requérantes se trouvent dans une situation comparable à celle d’un couple hétérosexuel non marié, concédant que, en termes de personnes, les couples homosexuels et les couples hétérosexuels sont en théorie tout aussi aptes ou inaptes les uns que les autres à l’adoption en général et à l’adoption coparentale en particulier. Il admet de surcroît que les deux situations sont comparables en ce que toute adoption exige le consentement des deux parents biologiques.

73.  S’appuyant sur les arrêts Emonet et autres c. Suisse (no 39051/03, 13 décembre 2007) et Eski c. Autriche (no 21949/03, 25 janvier 2007), le Gouvernement ajoute que la rupture du lien de filiation consécutive à l’adoption d’un mineur a été jugée compatible avec l’article 8 et que les Etats disposent d’une ample marge d’appréciation dans le domaine du droit de l’adoption. Il précise que le droit autrichien en la matière donne la priorité aux parents biologiques en ce qui concerne l’autorité parentale et que l’adoption ne doit être autorisée que lorsqu’elle sert manifestement l’intérêt de l’enfant. L’adoption entraînerait en effet la perte des droits parentaux pour le parent biologique concerné, et le consentement de celui‑ci, dont les liens avec l’enfant seraient également protégés par l’article 8, serait une condition préalable à l’adoption. Le droit autrichien ménagerait ainsi un équilibre raisonnable entre tous les intérêts en présence.

74.  Aucune question de discrimination ne se poserait en l’espèce car les première et troisième requérantes n’auraient pas été traitées autrement qu’un couple hétérosexuel non marié. Après avoir examiné attentivement la question de l’intérêt du deuxième requérant à être adopté, les juridictions nationales, notamment le tribunal régional, auraient constaté que l’enfant avait des liens avec son père, et elles auraient conclu pour cette raison qu’il n’y avait pas lieu de substituer un parent adoptif à ce dernier. Le consentement préalable des deux parents biologiques serait une condition essentielle à toute adoption. Le Gouvernement fait valoir que, compte tenu de l’opposition du père du deuxième requérant, les tribunaux internes n’auraient pas davantage pu homologuer la convention d’adoption si la demande avait émané d’un partenaire de sexe opposé à celui de la troisième requérante et non marié avec elle. Il estime par ailleurs que les intéressés ont échoué à démontrer qu’il existait des motifs de passer outre au refus par le père de l’enfant de consentir à l’adoption et ajoute qu’ils n’ont pas demandé aux tribunaux de statuer expressément sur ce point.

75.  Le Gouvernement affirme de surcroît que le code civil ne poursuit pas un objectif d’exclusion des couples homosexuels. Selon lui, l’impossibilité pour une femme d’adopter l’enfant d’une autre femme ferait également échec au projet d’une tante d’adopter son neveu tant que subsisteraient des liens entre celui-ci et sa mère. L’interdiction expresse de l’adoption coparentale frappant les couples homosexuels n’aurait été introduite qu’en 2010 par la loi sur le partenariat enregistré, laquelle n’aurait pas encore été en vigueur au moment où les juridictions internes ont statué sur la présente affaire et ne serait donc pas pertinente en l’espèce.

76.  Pour le cas oùla Courconclurait à une différence de traitement et examinerait la légitimité de l’exclusion des couples homosexuels du champ de l’adoption coparentale, le Gouvernement soutient que celle-ci est justifiée par les buts légitimes que sont la reconstitution d’une famille biologique et la protection du bien-être de l’enfant. Le droit autrichien de l’adoption n’aurait pas pour objectif d’exclure les couples homosexuels mais tendrait de manière générale à empêcher qu’un enfant ait deux pères ou deux mères du point de vue juridique. Il poursuivrait cet objectif par des mesures appropriées, en ayant également égard à la nécessité de tenir compte des intérêts d’autres personnes concernées, et il protégerait les intérêts du partenaire du parent de l’enfant par d’autres moyens.

77.  Enfin, le Gouvernement considère que les Etats devraient bénéficier d’une ample marge d’appréciation en matière d’adoption coparentale par les couples homosexuels. Selon ses informations, seuls dix Etats membres du Conseil de l’Europe autoriseraient cette forme d’adoption. Dans ces conditions, il n’y aurait pas de standard européen, ni même une quelconque tendance ou orientation, en la matière.

c)  Les parties intervenantes

i.  La FIDH,la CIJ, l’ILGA-Europe,la BAAF, le NELFA et l’ECSOL

78.  Dans leurs observations communes, ces six organisations non gouvernementales avancent que, comme l’affaire Karner (précitée), le cas d’espèce révèle une différence de traitement en ce qu’un droit reconnu aux couples hétérosexuels non mariés a été dénié à un couple homosexuel non marié. En conséquence, il conviendrait d’appliquer en l’espèce les critères dégagés dans l’arrêt Karner. En outre, dans les arrêts Salgueiro da Silva Mouta c. Portugal (no 33290/96, CEDH 1999‑IX) et E.B. c. France (précité),la Couraurait implicitement reconnu que rien ne s’opposerait à ce qu’un enfant fût élevé par une personne homosexuelle vivant avec un partenaire du même sexe qu’elle.La Courinteraméricaine des droits de l’homme serait parvenue récemment à une conclusion analogue dans l’affaire Atala Riffo et filles c. Chili (arrêt du 24 février 2012).

79.  Par ailleurs, en ce qui concerne la question du consensus européen, il conviendrait de relever que la majorité des quarante-sept Etats membres du Conseil de l’Europe réservent l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels mariés. Les seuls Etats susceptibles de servir de point de comparaison en l’espèce seraient ceux qui ouvrent l’adoption coparentale à d’autres couples, notamment aux couples homosexuels (mariés, partenaires enregistrés ou vivant ensemble) ou aux couples hétérosexuels non mariés. Parmi ce groupe d’Etats, quatorze auraient étendu l’adoption coparentale aux couples homosexuels ou envisageraient de le faire et cinq seulement (dont l’Autriche) ouvriraient cette forme d’adoption aux couples hétérosexuels non mariés tout en l’interdisant aux couples homosexuels.

80.  Enfin, l’article 7 dela Conventioneuropéenne de 2008 en matière d’adoption des enfants reconnaîtrait la diversité des législations sur l’adoption, mais il n’en demeurerait pas moins que les articles 14 et 8 dela Conventioninterdisent aux Etats membres de se fonder sur des motifs discriminatoires pour étendre le droit d’adopter à un groupe de personnes mais non à un autre.

ii.  Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ)

81.  L’ECLJ estime qu’il n’y a pas eu d’ingérence dans la vie familiale de facto des requérants et que l’article 8 n’est donc pas applicable en l’espèce. Il soutient en outre qu’il n’existe pas un droit à l’adoption, ni un droit à être adopté. Selon lui, les intéressés revendiquent en substance un droit à la reconnaissance de leur vie familiale. Or, comme le droit de se marier, le droit de fonder une famille consacré par l’article 12 dela Conventionserait réservé aux couples hétérosexuels.

82.  Pour le cas où l’affaire serait examinée sous l’angle de l’article 8, l’ECLJ soutient qu’à supposer même qu’il y ait eu ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit au respect de leur vie familiale, force est de constater que cette ingérence était prévue par la loi, plus précisément par l’article 182 § 2 du code civil, et qu’elle poursuivait un but légitime, à savoir la protection des relations entre le deuxième requérant et son père, lequel était opposé à l’adoption envisagée. Le refus des juridictions internes d’autoriser l’adoption voulue par les intéressés viserait également, et légitimement, à préserver la famille naturelle et à garantir la sécurité juridique aux enfants. La réalité biologique serait un élément objectif, et elle constituerait à ce titre une justification raisonnable.

83.  Sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 8, l’ECLJ expose que les première et troisième requérantes n’ont pas la capacité biologique de fonder une famille et que leur situation n’est donc pas comparable à celle d’un couple hétérosexuel. L’article 182 § 2 du code civil s’appliquant à tous les couples, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels, aucune différence de traitement n’aurait été opérée en l’espèce. Le fait que cette disposition produise des effets différents selon qu’elle s’applique à un couple homosexuel ou à un couple hétérosexuel ne s’analyserait pas en une discrimination.

iii.  Le procureur général de l’Irlande du Nord

84.  Le procureur général de l’Irlande du Nord considère quela Conventioneuropéenne de 2008 en matière d’adoption des enfants pourrait servir à déterminer dans quelle mesure il existe un consensus européen dans ce domaine. Il fait notamment observer que l’article 4 de cet instrument érige l’intérêt supérieur de l’enfant en principe directeur de toute adoption et considère qu’il ressort clairement de l’article 7 qu’il n’existe aucun consensus en Europe concernant l’adoption par des couples homosexuels.

85.  Il indique que la compatibilité avecla Conventiondes articles 14 et 15 § 1 de l’ordonnance de 1987 sur l’adoption applicable en Irlande du Nord, telle qu’amendée par la loi sur le partenariat civil, fait actuellement l’objet d’un recours en justice dans son pays au motif que ces dispositions privent les couples homosexuels, qu’ils soient ou non liés par un partenariat enregistré, de toute possibilité d’adopter et qu’elles interdisent l’adoption monoparentale aux personnes homosexuelles ayant conclu un partenariat enregistré, alors qu’une personne n’ayant pas conclu pareil partenariat peut adopter seule, quelle que soit son orientation sexuelle. Il précise qu’il est allégué dans le cadre du recours en cause que les effets cumulatifs de ces dispositions portent atteinte à l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8.

86.  Relevant quela Conventionne garantit pas un droit à l’adoption et s’appuyant sur la jurisprudence récente dela Cour(E.B. c. France, Gas et Dubois, Schalk et Kopf, précités ; et S.H. et autres c. Autriche , no 57813/00, 3 novembre 2011), le procureur général de l’Irlande du Nord constate quela Coura jusqu’à présent fait preuve de retenue judiciaire en reconnaissant que le législateur national est mieux placé que le juge européen pour apprécier les questions que posent les notions de famille et de mariage et les rapports entre parents et enfants.

iv.  Amnesty International

87.  Les observations d’Amnesty International fournissent un aperçu des clauses de non-discrimination figurant dans les traités régionaux et internationaux de protection des droits de l’homme ainsi que de la jurisprudence pertinente dela Coureuropéenne et dela Courinteraméricaine des droits de l’homme. Elles s’inspirent aussi de l’interprétation que les organes de suivi de l’Organisation des Nations unies – notamment le Comité des droits de l’homme et le Comité des droits de l’enfant – donnent des clauses en question.

88.  Amnesty International considère que toute différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle doit être justifiée par des raisons particulièrement solides et convaincantes. Elle renvoie à cet égard à un arrêt récent dela Courinteraméricaine des droits de l’homme (Atala Riffo et filles c. Chili), qui indique que « l’orientation sexuelle fait partie de l’intimité d’une personne et n’a pas à entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer si une personne a les qualités requises pour être parent ».

89.  Amnesty International fait par ailleurs observer que, selon l’article 3 dela Conventionrelative aux droits de l’enfant, l’intérêt de l’enfant doit être une « considération primordiale » dans toutes les décisions qui concernent les enfants. Elle relève que l’article 21 de la même convention érige aussi l’intérêt supérieur de l’enfant en « considération primordiale » en matière d’adoption. Cet instrument apporterait donc d’importantes restrictions à la marge d’appréciation des Etats, leur interdisant notamment d’appliquer des normes différentes en fonction de la composition des familles ou de l’orientation sexuelle d’un parent. Dans ces conditions, tout régime d’adoption devrait autoriser les tribunaux et les autres autorités compétentes à se fonder principalement sur l’intérêt supérieur de l’enfant pour statuer sur les demandes d’adoption.

v.  Alliance Defending Freedom

90.  Alliance Defending Freedom observe que nila Conventionni la jurisprudence dela Courrelative à l’article 8 dela Conventionne reconnaissent un droit à l’adoption. En revanche,la Couraurait conclu à l’applicabilité de l’article 14 combiné avec l’article 8 dans les affaires portant sur des allégations de discrimination en matière d’adoption et elle aurait examiné un petit nombre d’affaires de ce type (Fretté c. France, no 36515/97, CEDH 2002-I ; et les affaires précitées E.B. c. France et Gas et Dubois). Dans l’arrêt E.B. c. France,la Couraurait attaché un poids décisif notamment au fait que le droit français autorisait l’adoption d’un enfant par un célibataire, ouvrant ainsi la voie à l’adoption par une personne homosexuelle célibataire. Le cas d’espèce se distinguerait de l’affaire en question et pour Alliance Defending Freedom un constat de violation équivaudrait à une tentative de réécriture du droit des Etats qui réservent l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels. Au surplus, cette question ne ferait pas consensus en Europe.

91.  Par ailleurs, la thèse répandue de «  l’indifférenciation », c’est-à-dire l’idée, émise dans diverses études, selon laquelle les enfants qui grandissent dans des familles homoparentales ne se trouvent pas dans une situation de net désavantage par rapport aux enfants élevés par des familles hétéroparentales, aurait été remise en question par des travaux sociologiques récents menés notamment aux Etats-Unis. Compte tenu du caractère peu concluant des résultats des études scientifiques réalisées en la matière et de l’ample marge d’appréciation dont les Etats bénéficieraient dans le domaine du droit de la famille, l’intérêt de l’enfant justifierait de réserver l’adoption, y compris l’adoption coparentale, aux couples hétérosexuels.

2.  Appréciation dela Cour

a)  Applicabilité de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8

92.  La Coura eu à connaître de plusieurs affaires où était alléguée une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans le domaine de la vie privée et familiale. Elle en a examiné certaines sur le terrain de l’article 8 pris isolément. Ces affaires concernaient la répression pénale des relations homosexuelles entre adultes (Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, série A no 45 ; Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, série A no 142, et Modinos c. Chypre, 22 avril 1993, série A no 259) ou la révocation d’homosexuels des forces armées (Smith et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96 et 33986/96, CEDH 1999‑VI). Elle en a considéré d’autres sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8. Celles-ci se rapportaient à la fixation, en matière pénale, d’un âge de consentement différent pour les rapports homosexuels d’une part et pour les relations hétérosexuelles d’autre part (L. et V. c. Autriche, nos 39392/98 et 39829/98, CEDH 2003‑I), à l’attribution de l’autorité parentale (Salgueiro da Silva Mouta, précité), à l’agrément des postulants à l’adoption d’un enfant (Fretté, E.B. c. France et Gas et Dubois, précités), au droit du partenaire survivant à la transmission du bail contracté par le défunt (Karner, précité, et Kozak c. Pologne, no 13102/02, 2 mars 2010 ), au droit à une couverture sociale (P.B. et J.S. c. Autriche, no 18984/02, 22 juillet 2010) ou à l’accès des couples homosexuels au mariage ou à une autre forme de reconnaissance juridique (Schalk et Kopf, précité).

93.  En l’espèce, les requérants invoquent l’article 14 combiné avec l’article 8 et soutiennent qu’ils vivent ensemble une vie familiale. Le Gouvernement ne conteste pas que l’article 14 combiné avec l’article 8 soit applicable en l’espèce.La Courn’aperçoit aucune raison de s’écarter de l’avis des parties sur ce point, pour les motifs exposés ci-après.

94.  Selon la jurisprudence constante dela Cour, l’article 14 complète les autres clauses normatives dela Conventionet de ses Protocoles. Il n’a pas d’existence indépendante puisqu’il vaut uniquement pour la « jouissance des droits et libertés » qu’elles garantissent. Certes, il peut entrer en jeu même sans un manquement à leurs exigences et, dans cette mesure, possède une portée autonome, mais il ne saurait trouver à s’appliquer si les faits du litige ne tombent pas sous l’empire de l’une au moins de ces clauses (voir, par exemple, Schalk et Kopf, précité, § 89 ; E.B. c. France, précité, § 47 ; Karner, précité, § 32, et Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II).

95.  La Courrappelle que la relation qu’entretient un couple homosexuel cohabitant de fait de manière stable relève de la notion de « vie familiale » au même titre que celle d’un couple hétérosexuel se trouvant dans la même situation (Schalk et Kopf, précité, § 94). En outre, dans la décision sur la recevabilité qu’elle a rendue dans l’affaire Gas et Dubois c. France (no 25951/07, 31 août 2010),la Coura déclaré que la relation entre deux femmes vivant ensemble sous le régime du pacte civil de solidarité (PACS) et l’enfant que la seconde d’entre elles avait conçu par procréation médicalement assistée et qu’elle élevait conjointement avec sa compagne s’analysait en une « vie familiale » aux fins de l’article 8 dela Convention.

96.  En l’espèce, les première et troisième requérantes forment un couple homosexuel stable menant une vie commune depuis de nombreuses années. Le deuxième requérant, dont elles s’occupent toutes les deux, vit avec elles. Dans ces conditions,la Courestime que la relation qui unit les trois requérants relève de la notion de « vie familiale » au sens de l’article 8 dela Convention.

97.  En conséquence,la Courconclut que l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8 trouve à s’appliquer en l’espèce.

b)  Observation de l’article 14 combiné avec l’article 8

i.  Les principes se dégageant de la jurisprudence dela Cour

98.  Selon la jurisprudence constante dela Cour, pour qu’une question se pose au regard de l’article 14 il doit y avoir une différenciation dans le traitement de personnes placées dans des situations comparables. Une telle différenciation est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. Les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer si et dans quelle mesure des différences entre des situations à d’autres égards analogues justifient des distinctions de traitement (Schalk et Kopf, précité, § 96, et Burden c. Royaume-Uni , no 13378/05, § 60, CEDH 2008- ).

99.  L’orientation sexuelle relève du champ d’application de l’article 14.La Coura maintes fois déclaré que, comme les différences fondées sur le sexe, celles fondées sur l’orientation sexuelle doivent être justifiées par des motifs impérieux ou, autre formule parfois utilisée, par des « raisons particulièrement solides et convaincantes » (voir, par exemple, E.B. c. France, précité, § 91 ; Kozak, précité, § 92 ; Karner, précité, §§ 37 et 42 ; L. et V. c. Autriche, précité, § 45, et Smith et Grady, précité, § 90). S’agissant de différences de traitement fondées sur le sexe ou l’orientation sexuelle, la marge d’appréciation des Etats est étroite (Kozak, précité, § 92, et Karner, précité, § 41). Les différences motivées uniquement par des considérations tenant à l’orientation sexuelle sont inacceptables au regard dela Convention(E.B. c. France, précité, §§ 93 et 96, et Salgueiro da Silva Mouta, précité, § 36).

100.  Avant d’en venir à l’examen du grief des requérants,la Courprécise que, d’une manière générale, l’adoption d’un enfant par des homosexuels peut revêtir trois formes distinctes. La première est celle de l’adoption par une seule personne (adoption monoparentale) ; la deuxième est celle de l’adoption coparentale, par laquelle un membre d’un couple adopte l’enfant de l’autre, le but étant que chacun des membres du couple ait le statut de parent légal ; et la troisième est celle de l’adoption conjointe par les deux membres du couple (voir l’étude du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe citée au paragraphe 55 ci-dessus et E.B. c. France, précité, § 33).

101.  Jusqu’à présent,la Coura eu à connaître de deux affaires concernant des demandes d’adoption monoparentales émanant d’homosexuels (Fretté et E.B. c. France, précitées) et d’une affaire portant sur une demande d’adoption coparentale par un couple homosexuel (Gas et Dubois, précitée).

102.  Dans l’affaire Fretté c. France, les autorités françaises avaient rejeté la demande d’agrément d’un postulant à l’adoption au motif que les « choix de vie » (autrement dit l’homosexualité) de l’intéressé ne présentaient pas des garanties suffisantes pour l’adoption d’un enfant. Se plaçant sur le terrain de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8,la Coura relevé que la législation française reconnaissait à tout célibataire – homme ou femme – le droit de déposer une demande d’adoption, et que les autorités françaises avaient rejeté la demande d’agrément préalable présentée par le requérant en se fondant – certes implicitement – sur son orientation sexuelle, et elle a donc conclu à l’existence d’une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle (Fretté, précité, § 32). Toutefois, elle a estimé que les décisions adoptées par les autorités internes poursuivaient un but légitime : protéger la santé et les droits des enfants pouvant être concernés par une procédure d’adoption. Quant au point de savoir si cette différence de traitement était justifiée,la Coura notamment observé qu’il n’y avait guère de communauté de vues entre les Etats membres du Conseil de l’Europe dans ce domaine, où le droit paraissait traverser une phase de transition, et elle a jugé que les autorités nationales devaient se voir reconnaître une marge d’appréciation étendue pour se prononcer en la matière. En ce qui concerne les intérêts concurrents du requérant et des enfants pouvant être adoptés,la Coura relevé que la communauté scientifique était divisée sur les conséquences éventuelles de l’accueil d’un enfant par un ou des parents homosexuels, compte tenu notamment du nombre restreint d’études scientifiques sur la question qui étaient disponibles à l’époque. En définitive, elle a reconnu que le refus d’agrément opposé à l’adoption envisagée n’avait pas porté atteinte au principe de proportionnalité et que la différence de traitement dénoncée n’était donc pas discriminatoire au sens de l’article 14 dela Convention(§§ 37-43).

103.  Dans l’arrêt de Grande Chambre qu’elle a rendu dans l’affaire E.B. c. France (précitée), elle aussi examinée sur le terrain de l’article 14 combiné avec l’article 8,la Courest revenue sur cette position. Après avoir procédé à une analyse approfondie des raisons invoquées par les autorités françaises pour justifier leur refus d’autoriser l’adoption envisagée par la requérante, qui vivait avec une autre femme une relation stable,la Coura relevé que les autorités avaient retenu deux motifs principaux, à savoir l’absence de « référent paternel » dans le foyer de la requérante ou son entourage proche et le manque d’investissement de la compagne de celle-ci. Elle a considéré que ces deux motifs avaient émergé dans le cadre d’une appréciation globale de la situation de la requérante et que le caractère illégitime de l’un d’eux avait eu pour effet de contaminer l’ensemble de la décision. Elle a estimé que le second de ces motifs n’était pas critiquable, mais que le premier était implicitement lié à l’homosexualité de la requérante et que les autorités l’avaient abusivement invoqué dans un contexte où la demande d’agrément en vue d’une adoption émanait d’une personne célibataire. En définitive, elle a considéré que l’orientation sexuelle de la requérante n’avait cessé d’être au centre du débat la concernant et qu’elle avait revêtu un caractère décisif, menant à la décision de refus de l’agrément sollicité (E.B. c. France, précité, §§ 72-89). Elle a précisé que lorsqu’une différence de traitement est justifiée uniquement par des considérations tenant à l’orientation sexuelle de la personne concernée, elle doit être réputée discriminatoire au regard dela Convention(ibidem, § 93). Elle a ensuite relevé que le droit français autorisait l’adoption d’un enfant par un célibataire, ouvrant ainsi la voie à l’adoption par une personne célibataire homosexuelle, ce qui n’était pas contesté. Au vu de son analyse des motifs avancés par les autorités françaises, elle a jugé que, pour rejeter la demande d’agrément en vue d’adopter présentée par la requérante, celles‑ci avaient opéré une distinction dictée par des considérations tenant à l’orientation sexuelle de l’intéressée, distinction que l’on ne pouvait tolérer d’aprèsla Convention. Enconséquence, elle a conclu à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 (ibidem, §§ 94-98).

104.  L’affaire Gas et Dubois (précitée) concernait deux femmes vivant en couple sous le régime du PACS de droit français. L’une des deux requérantes était la mère d’un enfant conçu par procréation médicalement assistée. Au regard du droit français, elle en était la seule parente. Les intéressées se plaignaient, sur le terrain de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8, que l’enfant de l’une ne pouvait être adopté par l’autre. Plus précisément, elles souhaitaient être autorisées à adopter l’enfant sous le régime de l’adoption simple en vue de la création d’un lien de filiation entre l’enfant et la compagne de sa mère, ce qui leur aurait permis d’exercer conjointement l’autorité parentale sur celui-ci. Les autorités internes avaient refusé de donner leur agrément à ce projet d’adoption au motif que celle-ci aurait entraîné, au profit de la compagne de la mère de l’enfant, un transfert des droits d’autorité parentale non conforme à l’intérêt de l’enfant (Gas et Dubois, précité, § 62).La Coura examiné la situation des intéressées en la comparant à celle d’un couple marié. Elle a relevé qu’en droit français seuls les couples mariés pouvaient exercer l’autorité parentale conjointe en cas d’adoption simple. Observant que les Etats contractants n’étaient pas tenus d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels et que le mariage conférait un statut particulier à ceux s’y engageant, elle a jugé que les requérantes ne se trouvaient pas dans une situation juridique comparable à celle des couples mariés (ibidem, § 68). Relevant que l’adoption coparentale n’était pas non plus ouverte aux couples hétérosexuels non mariés qui, comme les requérantes, avaient conclu un PACS (ibidem, § 69),la Coura conclu à l’absence de différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle et à la non-violation de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8.

ii.  Application en l’espèce des principes susmentionnés

α)  Comparaison de la situation des requérants avec celle d’un couple marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre

105.  La première question qui se pose àla Courest celle de savoir si la situation des requérants – les première et troisième requérantes, qui forment un couple homosexuel, et le fils de cette dernière – était comparable à celle d’un couple hétérosexuel marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre.

106.  La Coura récemment répondu à cette question par la négative dans l’affaire Gas et Dubois, pour des raisons qu’elle estime utile de rappeler et de réaffirmer ici. Il convient d’abord de garder à l’esprit que l’article 12 dela Conventionn’impose pas aux Etats contractants l’obligation d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels (Schalk et Kopf, précité, §§ 54-64), que le droit au mariage homosexuel ne peut pas non plus se déduire de l’article 14 combiné avec l’article 8 (ibidem, § 101) et que, lorsque les Etats décident d’offrir aux couples homosexuels un autre mode de reconnaissance juridique, ils bénéficient d’une certaine marge d’appréciation pour décider de la nature exacte du statut conféré (ibidem, § 108). Par ailleurs,la Coura déclaré à maintes reprises que le mariage confère un statut particulier à ceux qui s’y engagent, que l’exercice du droit de se marier est protégé par l’article 12 dela Conventionet qu’il emporte des conséquences sociales, personnelles et juridiques (voir, parmi d’autres, Gas et Dubois, précité, § 68, et Burden, précité, § 63).

107.  Or le droit autrichien de l’adoption prévoit un régime spécifique pour les couples mariés. L’article 179 § 2 du code civil énonce en effet que l’adoption conjointe leur est réservée et qu’elle est en principe la seule forme d’adoption qui leur soit ouverte. Par exception à ce principe, la même disposition autorise un époux à adopter l’enfant de son conjoint (adoption coparentale).

108.  S’appuyant sur l’arrêt Gas et Dubois, le Gouvernement avance que la situation des première et troisième requérantes n’est pas comparable à celle d’un couple marié. Pour leur part, les requérantes soulignent qu’elles n’entendent pas revendiquer un droit qui serait réservé aux couples mariés.La Courn’aperçoit pas de raison de s’écarter de sa jurisprudence sur ce point.

109.  Au vu de ce qui précède,la Courconclut que la situation des première et troisième requérantes au regard de l’adoption coparentale n’est pas comparable à celle d’un couple marié.

110.  En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8 dans le chef des intéressés pour autant que l’on compare leur situation avec celle d’un couple marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre.

ß)  Comparaison de la situation des requérants avec celle d’un couple hétérosexuel non marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre

111.  La Courrelève que les observations des requérants portent essentiellement sur la comparaison de leur situation avec celle d’un couple hétérosexuel non marié. Les intéressés soulignent qu’en droit autrichien l’adoption coparentale est ouverte non seulement aux couples mariés, mais aussi aux couples hétérosexuels non mariés, alors qu’elle est juridiquement impossible pour les couples homosexuels.

Situation comparable

112.  La Courobserve qu’aucune des parties n’avance que la loi distingue les couples homosexuels des couples hétérosexuels non mariés par un statut juridique particulier analogue à celui qui différencie les premiers et les seconds des couples mariés. D’ailleurs, le Gouvernement ne conteste pas que la situation des couples hétérosexuels non mariés soit comparable à celle des couples homosexuels, concédant que, en termes de personnes, les couples homosexuels et les couples hétérosexuels sont en théorie tout aussi aptes ou inaptes les uns que les autres à l’adoption en général et à l’adoption coparentale en particulier.La Courconstate que la situation des requérants, désireux d’établir un lien juridique entre le premier et le deuxième d’entre eux, est comparable à celle d’un couple hétérosexuel dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre.

Différence de traitement

113.  La Courdoit maintenant rechercher s’il y a eu une différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle des première et troisième requérantes.

114.  Le droit autrichien ouvre l’adoption coparentale aux couples hétérosexuels non mariés. L’article 179 du code civil autorise de manière générale l’adoption monoparentale, et aucune disposition de l’article 182 § 2 du même code, qui régit les effets de l’adoption, ne s’oppose à ce que l’un des membres d’un couple hétérosexuel non marié adopte l’enfant de l’autre sans qu’il y ait rupture des liens entre ce dernier et son enfant. En revanche, il est juridiquement impossible à un couple homosexuel de procéder à une adoption coparentale car ce même article 182 § 2 énonce que l’adoptant se substitue au parent biologique du même sexe que lui. En l’espèce, la première requérante étant une femme, en cas d’adoption par elle du deuxième requérant, seuls les liens entre celui-ci et sa mère, compagne de la première requérante, pourraient être rompus. Les intéressés ne peuvent donc pas recourir à l’adoption en vue de créer, entre la première requérante et le deuxième requérant, un lien de filiation qui s’ajouterait à celui qui existe entre le deuxième requérant et sa mère. Quoique neutre de prime abord, l’article 182 § 2 exclut les couples homosexuels de l’adoption coparentale.

115.  Dans un souci d’exhaustivité,la Courprécise que depuis le 1er janvier 2010, date de l’entrée en vigueur de la loi sur le partenariat enregistré, les couples homosexuels ont la possibilité de conclure un partenariat enregistré. Les première et troisième requérantes n’ont pas usé de cette faculté. En tout état de cause, la conclusion d’un tel partenariat ne leur aurait pas permis de procéder à une adoption coparentale, l’article 8 § 4 de ladite loi interdisant expressément l’adoption par l’un des partenaires de l’enfant de l’autre.

116.  Cela étant, il ne fait aucun doute que la législation applicable opère une distinction entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels en matière d’adoption coparentale. En l’état actuel du droit autrichien, l’adoption coparentale est inaccessible aux requérants, et il en serait ainsi même si le père biologique du deuxième requérant était décédé ou inconnu, ou s’il existait des motifs de passer outre à son refus de consentir à l’adoption. Le Gouvernement ne le conteste pas.

117.  Toutefois, il soutient que les faits de la cause ne révèlent aucune forme de discrimination. A cet égard, il assure que la demande d’homologation de la convention d’adoption présentée par les intéressés a été rejetée pour des motifs étrangers à l’orientation sexuelle des première et troisième requérantes. Il précise d’abord que les tribunaux, et en particulier le tribunal régional, se sont opposés à l’adoption envisagée parce qu’elle ne servait pas l’intérêt de l’enfant. Il fait ensuite valoir que toute adoption requiert le consentement des parents biologiques de l’enfant à adopter. Observant que le père du deuxième requérant n’avait pas donné son consentement, le Gouvernement avance que les tribunaux n’avaient d’autre choix que de rejeter la demande d’adoption litigieuse et qu’ils auraient dû se prononcer exactement de la même façon si la première requérante avait été le compagnon et non la compagne de la troisième requérante. Autrement dit, la distinction juridique opérée par l’article 182 § 2 du code civil ne serait pas entrée en ligne de compte dans la présente affaire. Ce serait ainsi à un contrôle abstrait de la législation applicable que les requérants inviteraientla Courà se livrer.

118.  Au vu des décisions rendues par les juridictions internes (paragraphes 15, 18 et 20 ci-dessus),la Courn’est pas convaincue par la thèse du Gouvernement. Elle observe d’emblée que ces juridictions ont clairement dit que l’article 182 § 2 du code civil s’opposait en toutes circonstances à une adoption qui produirait les effets désirés par les intéressés, à savoir l’établissement entre la première requérante et le deuxième requérant d’un lien de filiation venant s’ajouter à celui existant entre ce dernier et sa mère.

119.  C’est sur ce seul motif que le tribunal de district a fondé sa décision. Il ne s’est pas arrêté sur les circonstances particulières de l’affaire, n’abordant à aucun moment la question de savoir si le père du deuxième requérant consentait ou non à l’adoption ou s’il existait des raisons de passer outre à son opposition comme le prétendaient les intéressés.

120.  Le tribunal régional a lui aussi conclu que l’adoption souhaitée par les requérants était juridiquement impossible, mais il a évoqué d’autres aspects de l’affaire. Il a exprimé des doutes sur la capacité de la troisième requérante à représenter son fils dans la procédure d’adoption, estimant que cette situation pouvait donner lieu à un conflit d’intérêts. Il a toutefois jugé inutile de statuer sur cette question au motif que le tribunal de district avait à juste titre opposé une fin de non-recevoir à la demande d’adoption. D’après les informations dontla Courdispose, il semble que le tribunal régional n’ait pas entendu les personnes concernées, à savoir les trois requérants et le père du deuxième requérant. Concernant le père de l’enfant et le rôle joué par lui, le tribunal s’est borné à constater, au vu du dossier, qu’il entretenait des contacts réguliers avec son fils. Il n’a pas recherché s’il existait, comme l’avançaient les intéressés, des raisons justifiant de faire application de l’article 181 § 3 du code civil pour passer outre à son refus de consentir à l’adoption. En revanche, il s’est longuement arrêté sur le fait que la notion de « parents » telle que la conçoit le droit autrichien de la famille renvoie à deux personnes de sexe opposé. Il a en outre tenu compte de l’intérêt de l’enfant à entretenir des relations avec ses deux parents de sexe opposé, considération qui, à ses yeux, excluait clairement l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents. Par ailleurs, il a recherché, à la lumière de l’arrêt rendu parla Courdans l’affaire Karner (précitée), si le droit de l’adoption en vigueur à l’époque opérait une discrimination à l’égard des couples homosexuels.

121.  Il importe également de tenir compte de ce que le tribunal régional a conclu à l’admissibilité d’un pourvoi en cassation devantla Coursuprême au motif qu’il n’existait pas de jurisprudence sur « la question (…) en débat, à savoir celle de la licéité de l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents ». Aux yeux dela Cour, cela contredit catégoriquement la thèse du Gouvernement selon laquelle le fait qu’il soit juridiquement impossible aux couples homosexuels d’avoir accès à l’adoption coparentale n’a joué aucun rôle dans la solution donnée à la présente affaire.

122.  Pour sa part,la Coursuprême a confirmé que l’adoption d’un enfant par la compagne de sa mère biologique était juridiquement impossible au regard de l’article 182 § 2 du code civil et a estimé que cette disposition n’outrepassait pas la marge d’appréciation reconnue aux Etats et qu’elle se conciliait donc avec l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8. Enfin, elle a également jugé que sa conclusion selon laquelle l’adoption envisagée était juridiquement impossible la dispensait de rechercher si les conditions dans lesquelles il pouvait être passé outre au refus de consentement du père de l’enfant, mesure exceptionnelle prévue par l’article 181 § 3 du code civil, étaient réunies.

123.  Au vu de ce qui précède,la Courrejette la thèse du Gouvernement selon laquelle les requérants n’ont pas été touchés par la différence de régime juridique découlant de l’article 182 § 2 du code civil. Elle estime que le fait que l’adoption souhaitée par les intéressés était juridiquement impossible n’a cessé d’être au centre de l’examen de l’affaire par les juridictions nationales (voir, mutatis mutandis, E.B. c. France, précité, § 88).

124.  C’est en effet cet obstacle juridique qui a empêché les juridictions internes de rechercher concrètement, en application de l’article 180a du code civil, si l’adoption envisagée était dans l’intérêt du deuxième requérant. Elles n’ont ainsi pas examiné dans le détail les circonstances de la cause. Elles n’ont pas davantage vérifié s’il y avait des raisons de passer outre au refus du père de l’enfant de consentir à l’adoption, comme le leur permettait l’article 181 § 3 du code civil. Le Gouvernement soutient que les intéressés n’ont pas suffisamment étayé leur thèse selon laquelle il existait de telles raisons et qu’ils n’ont pas demandé aux tribunaux de statuer expressément sur ce point.La Course bornera à constater que les tribunaux internes ne se sont fondés sur aucun de ces deux motifs pour rejeter la demande des requérants. Comme indiqué ci-dessus, le tribunal de district et le tribunal régional n’ont pas abordé cette question, etla Coursuprême a expressément confirmé qu’il n’y avait pas lieu de s’y arrêter compte tenu de l’obstacle juridique absolu auquel se heurtait l’adoption envisagée.

125.  Si la demande d’adoption introduite par les première et troisième requérantes avait été présentée par un couple hétérosexuel non marié, les tribunaux n’auraient pas pu lui opposer une fin de non-recevoir. Ils auraient au contraire été tenus de vérifier, conformément à l’article 180a du code civil, si cette adoption répondait à l’intérêt du deuxième requérant. Et si le père de l’enfant avait refusé de consentir à l’adoption, ils auraient dû rechercher s’il existait des circonstances exceptionnelles justifiant qu’ils passent outre à ce refus comme le leur permettait l’article 181 § 3 du code civil (pour un exemple d’application de cette procédure, voir l’arrêt Eski, précité, §§ 39‑42, rendu dans une affaire où était en cause une adoption coparentale par un couple hétérosexuel marié et dans laquelle les juridictions autrichiennes avaient longuement analysé cette question en mettant en balance les intérêts de toutes les personnes concernées – ceux du couple, ceux de l’enfant et ceux de son père biologique – après avoir dûment entendu chacune d’elles et établi les faits pertinents).

126.  En conséquence,la Courestime que le grief des intéressés ne relève nullement de l’actio popularis. Comme elle l’a indiqué au paragraphe 123 ci-dessus, les requérants ont été directement touchés par la législation litigieuse, car, en interdisant de manière absolue l’adoption coparentale aux couples homosexuels, l’article 182 § 2 du code civil ôtait toute utilité et toute pertinence à l’examen des circonstances propres à leur affaire et obligeait les autorités internes à opposer une fin de non-recevoir automatique à leur demande d’adoption. Partant, on ne peut pas dire quela Coursoit appelée à examiner in abstracto la législation critiquée : par sa nature même, l’interdiction absolue dont il est ici question a soustrait les faits de l’espèce à l’appréciation des juridictions internes et à celle dela Cour(voir, mutatis mutandis, Hirst c. Royaume-Uni (no 2) , no 74025/01, § 72, CEDH 2005‑IX).

127.  De plus, s’il peut de prime abord sembler que la différence de traitement litigieuse concerne surtout la première requérante, qui n’a pas été traitée de la même manière que l’aurait été un membre d’un couple hétérosexuel non marié désireux d’adopter l’enfant de l’autre,la Courobserve que les trois requérants vivent ensemble une vie familiale (paragraphe 96 ci-dessus) et qu’ils ont présenté leur demande d’adoption en vue d’obtenir la reconnaissance juridique de cette vie familiale. Dans ces conditions,la Courestime que les trois requérants ont été directement affectés par la différence de traitement en question et qu’ils peuvent donc tous se prétendre victimes de la violation alléguée.

128.  Le Gouvernement avance enfin que l’obstacle juridique s’opposant à la demande d’adoption présentée par les intéressés n’était pas fondé sur l’orientation sexuelle des première et troisième requérantes et qu’il n’était donc pas discriminatoire. Il fait valoir que l’article 182 § 2 du code civil, qui interdit à une femme d’adopter un enfant tant qu’il subsiste des liens de droit entre celui-ci et sa mère, est une disposition d’application générale qui ferait aussi échec au projet d’une tante d’adopter son neveu tant que subsisteraient des liens entre celui-ci et sa mère.

129.  Cet argument ne convainc pasla Cour. Lesrequérants se plaignent de ne pas avoir été traités de la même façon que l’aurait été un couple hétérosexuel non marié en ce qu’ils n’ont pas pu obtenir la reconnaissance juridique de leur vie familiale par le biais d’une adoption coparentale. En premier lieu,la Courobserve que les liens qu’entretiennent deux sœurs adultes ou une tante et son neveu échappent en principe à la sphère de la « vie familiale » au sens de l’article 8 dela Convention. Ensecond lieu, quand bien même les liens en question relèveraient de cette notion,la Courrappelle avoir déjà jugé que, sur le plan qualitatif, la relation entre deux sœurs vivant ensemble est différente par nature de celle qui lie les deux membres d’un couple, fût-il homosexuel (voir, mutatis mutandis, Burden, précité, § 62). Il s’ensuit que l’article 182 § 2 du code civil n’a pas les mêmes effets sur d’autres personnes que sur les requérants, dont la vie familiale s’est construite autour d’un couple homosexuel.

130.  Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent,la Courconclut que les requérants n’ont pas été traités comme l’aurait été un couple hétérosexuel non marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre. Dès lors que le traitement différent qui leur fut réservé était indissociablement lié au fait que les première et troisième requérantes formaient un couple homosexuel, il était fondé sur l’orientation sexuelle des intéressées.

131.  Il convient donc de distinguer la présente espèce de l’affaire Gas et Dubois (précitée, § 69), dans laquellela Couravait conclu à l’absence de différence de traitement fondée sur l’orientation sexuelle entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels au motif qu’en droit français l’interdiction de l’adoption coparentale frappait tant les premiers que les seconds.

But légitime et proportionnalité

132.  La Courjuge utile de préciser, bien que cela résulte de ce qui précède (voir, notamment, les paragraphes 116 et 126 ci-dessus), que la présente affaire ne concerne pas la question de savoir si, eu égard aux circonstances, la demande d’adoption présentée par les requérants aurait dû ou non être accueillie.La Courn’a donc pas à se pencher sur le rôle que jouait le père du deuxième requérant ni sur le point de savoir s’il y avait ou non des raisons de passer outre à son refus de consentir à l’adoption envisagée. Il aurait appartenu aux tribunaux internes de statuer sur toutes ces questions s’ils avaient été en mesure d’examiner au fond la demande d’adoption.

133.  Ce qui est en débat devantla Cour, c’est précisément le fait que ces juridictions se trouvaient dans l’incapacité de procéder à pareil examen dès lors que l’adoption du deuxième requérant par la compagne de sa mère était en tout état de cause impossible en vertu de l’article 182 § 2 du code civil. Si une demande d’adoption identique avait été présentée par un couple hétérosexuel non marié, les tribunaux autrichiens auraient au contraire été tenus d’en examiner le bien-fondé.

134.  Bien que la présente affaire puisse être considérée dans le cadre de la problématique plus large des droits parentaux des couples homosexuels,la Courn’est pas appelée à se prononcer sur la question de l’adoption coparentale par des couples homosexuels en elle-même, et encore moins sur celle de l’adoption par des couples homosexuels en général. Il s’agit pour elle de statuer sur un problème étroitement défini, celui de savoir si les requérants en l’espèce ont ou non été victimes d’une discrimination entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels en matière d’adoption coparentale.

135.  La Courrappelle que l’interdiction de la discrimination que consacre l’article 14 dépasse la jouissance des droits et libertés quela Conventionet ses Protocoles imposent à chaque Etat de garantir. Cette interdiction s’applique aussi aux droits additionnels, pour autant qu’ils relèvent du champ d’application général de l’un des articles dela Convention, que l’Etat a volontairement décidé de protéger. Si l’article 8 ne garantit pas le droit d’adopter,la Coura déjà déclaré, à propos d’une adoption par une personne homosexuelle célibataire, qu’un Etat qui est allé au-delà de ses obligations au titre de l’article 8 en créant un droit ne peut, dans la mise en application de ce dernier, prendre des mesures discriminatoires au sens de l’article 14 (E.B. c. France, précité, § 49).

136.  Se tournant vers la présente espèce,la Courrelève que l’article 8 dela Conventionn’impose pas aux Etats contractants d’étendre le droit à l’adoption coparentale aux couples non mariés (Gas et Dubois, précité, §§ 66-69, et Emonet et autres, précité, §§ 79-88). Toutefois, la législation autrichienne ouvre cette forme d’adoption aux couples hétérosexuels non mariés. En conséquence,la Courdoit rechercher si le refus d’accorder ce droit aux couples homosexuels (non mariés) poursuit un but légitime et est proportionné à ce but.

137.  Il ressort des décisions rendues par les juridictions internes et des observations du Gouvernement que le droit autrichien de l’adoption vise à recréer la situation que l’on trouve dans une famille biologique. Dans son arrêt du 21 février 2006, le tribunal régional a précisé que les dispositions litigieuses visaient à préserver la « famille traditionnelle » et que le droit autrichien reposait sur le principe selon lequel un enfant mineur devait avoir pour parents deux personnes de sexe opposé, conformément à la réalité biologique. Il a jugé que la décision du législateur de ne pas prévoir l’adoption d’un enfant par le partenaire homosexuel de l’un de ses parents, opération qui romprait le lien de l’enfant avec son parent du sexe opposé, poursuivait un but légitime. De la même manière,la Coursuprême a déclaré, dans son arrêt du 27 septembre 2006, que l’adoption avait pour objectif principal de confier à des individus aptes et responsables l’éducation d’enfants privés de parents ou de la possibilité de recevoir une éducation correcte de leurs parents. Elle a jugé que cet objectif ne pouvait être atteint que si l’adoption permettait de recréer autant que possible la situation que l’on trouve dans une famille biologique. En résumé, les juridictions internes et le Gouvernement ont mis en avant le souci de protéger la famille traditionnelle, lui-même fondé sur le postulat tacite selon lequel seules les familles composées de parents de sexe opposé sont capables d’élever convenablement des enfants.

138.  La Courreconnaît que le souci de protéger la famille au sens traditionnel du terme constitue en principe un motif important et légitime apte à justifier une différence de traitement (Karner, précité, § 40, et Kozak, précité, § 98). Il va sans dire que la protection de l’intérêt de l’enfant est aussi un but légitime. Reste à savoir si le principe de proportionnalité a été respecté en l’espèce.

139.  La Courrappelle les principes qui se dégagent de sa jurisprudence. Le but consistant à protéger la famille au sens traditionnel du terme est assez abstrait, et une grande variété de mesures concrètes peuvent être utilisées pour le réaliser (Karner, précité, § 41, et Kozak, précité, § 98). En outre, étant donné quela Conventionest un instrument vivant qui doit s’interpréter à la lumière des conditions actuelles, l’Etat doit choisir les mesures à prendre au titre de l’article 8 pour protéger la famille et garantir le respect de la vie familiale en tenant compte de l’évolution de la société ainsi que des changements qui se font jour dans la manière de percevoir les questions de société, d’état civil et celles d’ordre relationnel, notamment de l’idée selon laquelle il y a plus d’une voie ou d’un choix possibles en ce qui concerne la façon de mener une vie privée et familiale (Kozak, précité, § 98).

140.  Lorsque la marge d’appréciation laissée aux Etats est étroite, dans le cas par exemple d’une différence de traitement fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle, non seulement le principe de proportionnalité exige que la mesure retenue soit normalement de nature à permettre la réalisation du but recherché, mais il oblige aussi à démontrer qu’il était nécessaire, pour atteindre ce but, d’exclure certaines personnes – en l’espèce les individus vivant une relation homosexuelle – du champ d’application de la mesure dont il s’agit (Karner, précité, § 41, et Kozak, précité, § 99).

141.  En vertu de la jurisprudence précitée, la charge de cette preuve incombe au gouvernement défendeur. C’est donc au gouvernement autrichien qu’il revient en l’espèce de démontrer que la préservation de la famille traditionnelle, et plus précisément la protection de l’intérêt de l’enfant, commande d’interdire aux couples homosexuels l’adoption coparentale ouverte aux couples hétérosexuels non mariés.

142.  La Courrappelle que l’article 182 § 2 du code civil interdit de manière absolue – quoiqu’implicitement – l’adoption coparentale aux couples homosexuels. Le Gouvernement n’a pas présenté d’arguments précis, d’études scientifiques ou d’autres éléments de preuve susceptibles de démontrer que les familles homoparentales ne peuvent en aucun cas s’occuper convenablement d’un enfant. Il concède au contraire que, en termes de personnes, les couples homosexuels sont en théorie tout aussi aptes ou inaptes que les couples hétérosexuels à l’adoption. En outre, il déclare que le code civil ne vise pas à priver les couples homosexuels de toute possibilité d’accéder à l’adoption coparentale, tout en soulignant que le législateur a voulu empêcher qu’un enfant puisse avoir, du point de vue juridique, deux pères ou deux mères. Il précise que l’interdiction expresse faite aux couples homosexuels de procéder à une adoption coparentale n’a été introduite qu’en 2010, lors de l’entrée en vigueur de la loi sur le partenariat enregistré, ajoutant que celle-ci n’est pas pertinente en l’espèce faute d’avoir été applicable au moment de l’examen de la présente affaire par les juridictions internes.

143.  La Coura déjà répondu à l’argument selon lequel le code civil ne vise pas spécifiquement à exclure les homosexuels (paragraphes 128 et 129 ci-dessus). Par ailleurs, elle reconnaît que la loi sur le partenariat enregistré n’est pas directement en cause en l’espèce mais estime que ce texte peut permettre de comprendre pourquoi l’adoption coparentale est interdite aux couples homosexuels. Cela dit, l’exposé des motifs du projet de loi (paragraphe 42 ci-dessus) se borne à énoncer que l’article 8 §4 aété inséré dans la loi en réponse à des demandes réitérées formulées au cours de la procédure de consultation. En d’autres termes, cette disposition ne fait que refléter la position de certains pans de la société opposés à l’ouverture de l’adoption coparentale aux couples homosexuels.

144.  En outre, le droit autrichien paraît manquer de cohérence. Il autorise l’adoption par une seule personne, même homosexuelle. Si celle-ci vit avec un partenaire enregistré, le consentement de celui-ci est requis en vertu de l’alinéa 2 de l’article 181 § 1 du code civil, tel que modifié par la loi sur le partenariat enregistré (paragraphe 40 ci-dessus). Par conséquent, le législateur admet qu’un enfant peut grandir au sein d’une famille fondée sur un couple homosexuel, reconnaissant ainsi que cette situation n’est pas préjudiciable à l’enfant. Néanmoins, le droit autrichien prévoit explicitement qu’un enfant ne doit pas avoir deux mères ou deux pères (voir, mutatis mutandis, Christine Goodwin c. Royaume-Uni , no 28957/95, § 78, CEDH 2002‑VI, oùla Coura également tenu compte du manque de cohérence de l’ordre juridique interne).

145.  La Courjuge pertinente la thèse des requérants selon laquelle les familles de fait fondées sur un couple homosexuel sont une réalité que le droit ne reconnaît et ne protège pas. Elle constate que, contrairement à l’adoption monoparentale et à l’adoption conjointe, qui visent habituellement à créer des liens entre un enfant et un adoptant étrangers l’un à l’autre, l’adoption coparentale a pour objet de conférer au partenaire de l’un des parents de l’enfant des droits à l’égard de celui-ci.La Courelle-même a fréquemment souligné l’importance que revêt la reconnaissance juridique des familles de fait (Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 119, 28 juin 2007 ; voir aussi, en matière d’adoption coparentale, Eski, précité, § 39, et Emonet et autres, précité, §§ 63-64).

146.  L’ensemble des considérations exposées ci-dessus – l’existence de la famille de fait formée par les intéressés, l’importance qu’il y a pour eux à en obtenir la reconnaissance juridique, l’incapacité du Gouvernement à établir qu’il serait préjudiciable pour un enfant d’être élevé par un couple homosexuel ou d’avoir légalement deux mères ou deux pères, et surtout le fait que le Gouvernement reconnaît que les couples homosexuels sont tout aussi aptes que les couples hétérosexuels à l’adoption coparentale – suscitent de sérieux doutes quant à la proportionnalité de l’interdiction absolue de l’adoption coparentale qui résulte pour les couples homosexuels de l’article 182 § 2 du code civil. En l’absence d’autres raisons particulièrement solides et convaincantes militant en faveur d’une telle interdiction absolue, les considérations exposées jusqu’ici donnent au contraire à penser que les tribunaux devraient pouvoir examiner chaque situation au cas par cas. Cette façon de procéder paraît aussi plus conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant, notion clé des instruments internationaux pertinents (voir, en particulier, le paragraphe 49 ci-dessus et l’arrêt E.B. c. France, précité, § 95).

147.  Pour justifier la différence de traitement litigieuse, le Gouvernement avance un autre argument. S’appuyant sur l’article 8 dela Convention, il soutient que les Etats bénéficient d’une ample marge d’appréciation dans le domaine du droit de l’adoption, où la recherche d’un équilibre entre les intérêts de toutes les personnes concernées est selon lui un exercice délicat. Cette latitude serait d’autant plus étendue en l’espèce que la question de l’adoption coparentale par des couples homosexuels ne fait pas l’objet d’un consensus européen.

148.  La Courobserve que l’ampleur de la marge d’appréciation dont disposent les Etats au titre de l’article 8 dela Conventiondépend d’un certain nombre de facteurs. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’Etat est d’ordinaire restreinte. Par contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des Etats membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large (voir, pour des exemples récents, S. H. et autres c. Autriche, précité, § 94, et A, B et C c. Irlande , no 25579/05, § 232, CEDH 2010- ). Toutefois,la Courrappelle que, dans le cas d’une allégation de discrimination fondée sur le sexe ou l’orientation sexuelle à examiner sous l’angle de l’article 14, la marge d’appréciation des Etats est étroite (paragraphe 99 ci-dessus).

149.  En outre, et dans le seul but de répondre à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il n’existe pas de consensus européen en la matière, il convient de garder à l’esprit quela Courn’est pas appelée à se prononcer sur la question générale de l’accès des homosexuels à l’adoption coparentale, mais sur celle d’une différence de traitement alléguée entre les couples hétérosexuels non mariés et les couples homosexuels dans ce domaine (paragraphe 134 ci-dessus). Dans ces conditions, seuls les dix Etats membres du Conseil de l’Europe qui ouvrent l’adoption coparentale aux couples non mariés peuvent servir de point de comparaison. Six d’entre eux traitent les couples hétérosexuels et les couples homosexuels de la même manière à cet égard. Ils sont quatre à avoir adopté la même position que l’Autriche (voir les éléments de droit comparé exposés au paragraphe 57 ci-dessus).La Courest d’avis que l’étroitesse de cet échantillon ne permet de tirer aucune conclusion sur un éventuel consensus entre les Etats membres du Conseil de l’Europe.

150.  La Courestime quela Conventioneuropéenne de 2008 en matière d’adoption des enfants ne peut non plus être utilement invoquée à cette fin, d’abord parce qu’elle n’a pas été ratifiée par l’Autriche, ensuite parce que l’on peut douter qu’elle reflète une communauté de vues actuelle entre les Etats européens compte tenu du faible nombre de ratifications dont elle a fait l’objet jusqu’à présent. En tout état de cause,la Courrelève que, d’après l’article 7 § 1 de cet instrument, les Etats doivent permettre l’adoption par deux personnes de sexe différent (qui sont mariés ensemble ou, lorsqu’une telle institution existe, qui ont contracté un partenariat enregistré) ou par une seule personne. L’article 7 § 2 dispose que les Etats ont la possibilité d’étendre la portée de cette convention aux couples homosexuels mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré ensemble, ainsi qu’« aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable ». Il ne ressort donc pas de cette disposition que les Etats soient libres de traiter différemment les couples hétérosexuels et les couples homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable. Il apparaît quela Recommandation CM/Rec(2010)5 adoptée le 31 mars 2010 par le Comité des Ministres va dans le même sens puisque son paragraphe 23 invite les Etats membres à garantir l’application des droits et obligations conférés aux couples non mariés sans aucune discrimination à la fois aux couples de même sexe et à ceux de sexe différent. Quoi qu’il en soit, quand bien même l’article 7 § 2 dela Conventionde 2008 recevrait une interprétation conduisant à un résultat différent,la Courrappelle que les Etats demeurent responsables au regard dela Conventionpour les engagements pris en vertu de traités postérieurement à l’entrée en vigueur dela Convention(Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 128, CEDH 2010 (extraits)).

151.  La Coura conscience que la recherche d’un équilibre entre la préservation de la famille traditionnelle et les droits des minorités sexuelles découlant dela Conventionest un exercice par nature difficile et délicat, qui peut obliger les Etats à concilier des vues et des intérêts concurrents perçus par les parties concernées comme étant fondamentalement antagonistes (Kozak, précité, § 99). Toutefois, eu égard aux considérations qui précèdent,la Courestime que le Gouvernement n’a pas fourni de raisons particulièrement solides et convaincantes propres à établir que l’exclusion des couples homosexuels du champ de l’adoption coparentale ouverte aux couples hétérosexuels non mariés était nécessaire à la préservation de la famille traditionnelle ou à la protection des intérêts de l’enfant. Partant, la distinction opérée par le droit autrichien est incompatible avecla Convention.

152.  La Courrappelle à nouveau qu’il ne s’agit pas pour elle en l’espèce de déterminer si la demande d’adoption présentée par les requérants aurait dû ou non être accueillie. Le litige dont elle est saisie porte sur le point de savoir si les intéressés ont été victimes d’une discrimination du fait que, l’adoption envisagée se heurtant à un obstacle juridique absolu, les tribunaux internes n’ont pas eu la possibilité de rechercher concrètement si elle servait ou non l’intérêt du deuxième requérant. A cet égard,la Courrenvoie à deux arrêts récents où elle a conclu à la violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 au motif que les requérants, pères d’enfants nés hors mariage, n’avaient pu faire examiner par les juridictions internes si l’intérêt des enfants commandait une attribution de l’autorité parentale exclusive à leur père ou plutôt un partage de l’autorité parentale entre leurs parents (Zaunegger c. Allemagne, no 22028/04, §§ 61-63, 3 décembre 2009, et Sporer c. Autriche, no 35637/03, §§ 88-90, 3 février 2011).

153.  En conclusion, il y a eu violation de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8 pour autant que l’on compare la situation des requérants avec celle d’un couple hétérosexuel non marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre.

II.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DELA CONVENTION

154.  Aux termes de l’article 41 dela Convention,

« Sila Courdéclare qu’il y a eu violation dela Conventionou de ses Protocoles, et si le droit interne dela Haute Partiecontractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation,la Couraccorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

155.  Les requérants réclament chacun 50 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’ils disent avoir subi.

156.  Le Gouvernement soutient qu’il ne se justifie pas d’accorder aux intéressés une indemnité pour préjudice moral, notamment parce qu’ils n’ont pas été empêchés de vivre comme ils l’entendaient. En tout état de cause, les sommes réclamées par les requérants ne correspondraient pas à celles allouées dans des affaires analogues.

157.  La Courestime que les requérants doivent avoir subi un dommage moral qui ne serait pas suffisamment réparé par le seul constat d’une violation de l’article 14 combiné avec l’article 8. Considérant par ailleurs que l’atteinte découlant de la violation constatée a été portée à la famille qu’ils constituent, elle juge approprié de leur allouer conjointement la somme destinée à réparer leur dommage moral. Statuant en équité et se fondant sur la somme accordée dans une affaire analogue (E.B. c. France, précitée, § 102),la Couroctroie conjointement aux intéressés 10 000 EUR pour préjudice moral.

B.  Frais et dépens

158.  Les requérants réclament 49 680,94 EUR au total en remboursement de leurs frais et dépens, soit 6 156,59 EUR pour ceux engagés devant les juridictions internes et 43 524,35 EUR pour ceux exposés devantla Cour, taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise.

159.  Ils précisent que les frais et dépens encourus dans le cadre de la procédure suivie devantla Courconstitutionnelle d’une part et les juridictions civiles d’autre part s’élèvent respectivement à 2 735,71 EUR et 3 420, 88 EUR. Ils soutiennent que la saisine dela Courconstitutionnelle était nécessaire, expliquant que c’est l’arrêt rendu par cette juridiction qui leur a permis de s’assurer que l’introduction d’une requête en homologation de leur convention d’adoption devant les tribunaux n’entraînerait pas la perte des droits parentaux de la troisième requérante.

160.  Ils indiquent que les frais et dépens encourus pour les besoins de la procédure suivie devantla Courcomprennent les frais de déplacement et d’hébergement exposés par leur avocat pour assister à l’audience tenue par la première section, soit 889,08 EUR, puis à celle devantla Grande Chambre, soit 913,22 EUR euros, auxquels il convient selon eux d’ajouter une indemnité de 1 832,30 EUR censée couvrir le manque à gagner que leur avocat aurait subi du fait de ses déplacements et de sa présence à Strasbourg en vue de leur représentation devantla Cour. Ilsprécisent que le reste de la somme dont ils réclament le remboursement correspond aux honoraires de leur avocat. Ils considèrent que la procédure suivie devantla Grande Chambrene se résume pas à une simple répétition de celle suivie devant la chambre,la Courayant posé des questions supplémentaires aux parties et un certain nombre d’observations de tiers intervenants ayant dû être analysées avant d’être évoquées à l’audience.

161.  Le Gouvernement estime que les frais et dépens exposés pour les besoins de la procédure suivie devantla Courconstitutionnelle n’étaient pas nécessaires. Il soutient à cet égard que, d’après la jurisprudence de cette juridiction relative à l’article 140 dela Constitutionfédérale, un justiciable ne peut saisir directementla Courconstitutionnelle que si la violation dont il se plaint résulte de l’application directe de la loi et que, en l’espèce, les requérants avaient la possibilité de s’adresser aux juridictions civiles.

162.  En ce qui concerne la procédure suivie à Strasbourg, le Gouvernement trouve que les frais dont le remboursement est réclamé sont globalement excessifs. Il considère par ailleurs que les requérants ont pu s’inspirer dans une large mesure des moyens qu’ils avaient déjà soulevés dans le cadre de la procédure interne et, devantla Grande Chambre, sur les observations qu’ils avaient soumises à la chambre.

163.  Selon la jurisprudence dela Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En ce qui concerne la procédure interne,la Courconsidère que les frais exposés pour les besoins de la procédure devantla Courconstitutionnelle n’étaient pas nécessaires, relevant en particulier que le recours des intéressés a été jugé irrecevable par cette juridiction. En conséquence, seuls les frais afférents à la procédure suivie devant les juridictions civiles, à savoir 3 420,88 EUR, peuvent être remboursés aux requérants. Quant aux frais et dépens encourus dans le cadre de la procédure suivie à Strasbourg,la Courestime, au vu des pièces dont elle dispose et des critères susmentionnés, qu’il y a lieu d’accorder 25 000 EUR aux intéressés. Au total,la Couralloue donc 28 420,88 EUR aux requérants pour frais et dépens.

C.  Intérêts moratoires

164.  La Courjuge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal dela Banquecentrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8 pour autant que l’on compare la situation des requérants avec celle d’un couple marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre ;

3.  Dit, par dix voix contre sept, qu’il y a eu violation de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8 pour autant que l’on compare la situation des requérants avec celle d’un couple hétérosexuel non marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre ;

4.  Dit, par onze voix contre six,

a)  que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, les sommes suivantes :

i)  10 000 EUR (dix mille euros) conjointement aux requérants, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ou de taxe, pour dommage moral ;

ii)  28 420,88 EUR (vingt-huit mille quatre cent vingt euros et quatre-vingt-huit centimes) aux requérants, plus tout montant pouvant être dû par eux à titre d’impôt ou de taxe, pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal dela Banquecentrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 19 février 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Johan Callewaert              Dean Spielmann
Adjoint au Greffier              Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 dela Conventionet 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

–  opinion concordante du juge Spielmann ;

–  opinion partiellement dissidente commune aux juges Casadevall, Ziemele, Kovler, Jočienė, Šikuta, de Gaetano et Sicilianos.

D.S.
J.C.

 

OPINION CONCORDANTE DU JUGE SPIELMANN

1.  Concernant le point 2 du dispositif de l’arrêt, je suis d’avis que la situation des requérants – les première et troisième requérantes, qui forment un couple homosexuel, et le fils de cette dernière – était comparable à celle d’un couple hétérosexuel marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre.

2.  Sur ce point, je réitère mon opinion concordante jointe à l’arrêt Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012, à laquelle s’est ralliée ma collègue Isabelle Berro-Lefèvre. Comme dans l’affaire Gas et Dubois, l’on est en présence d’un couple homosexuel stable. Pour ce qui est de la question examinée parla Cour, les première et troisième requérantes se trouvent à mon avis dans une situation comparable à celle d’un couple marié. Le fait quela Conventionn’impose pas aux Etats contractants l’obligation d’ouvrir le mariage aux couples homosexuels ou que le mariage confère un statut particulier à ceux qui s’y engagent est sans rapport avec le problème posé en l’espèce.

3.  La raison pour laquelle je n’ai pas voté en faveur d’un constat de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 tient à ce qu’il n’était à mon avis pas nécessaire d’examiner cette question. D’ailleurs, les requérants ont eux-mêmes souligné qu’ils n’entendaient pas revendiquer un droit réservé aux couples mariés. Même si leur position sur cette question n’était pas dénuée d’une certaine ambiguïté, ils ont principalement soutenu qu’aucun motif objectif et raisonnable ne justifiait que la première requérante se soit vu refuser le droit d’adopter l’enfant de sa partenaire alors qu’un tel droit aurait été accordé à un membre d’un couple hétérosexuel non marié. Certes, dans l’exposé initial de leur grief, les intéressés avaient comparé leur situation avec celle d’un couple marié. Mais dans leurs observations du 31 juillet 2012, reçues au greffe le 1er août 2012, ils se sont exprimés comme suit :

« 34.  La question dontla Courest saisie ne concerne PAS un privilège lié au mariage. Les requérantes ne revendiquent pas un droit réservé aux familles mariées pour l’adoption par le second parent (c’est là la différence essentielle entre l’affaire Gas et Dubois et la présente affaire!).

35.  L’Autriche accorde également aux couples non mariés l’accès à l’adoption par le second parent.

36.  Mais alors que les couples hétérosexuels non mariés peuvent pleinement bénéficier de cette possibilité, les couples homosexuels non mariés et leurs beaux-enfants en sont exclus. Cette situation est identique à celle qui caractérisait l’affaire Karner (Karner c. Autriche 2003, Kozak c. Pologne 2010, P.B. et J.S. c. Autriche 2010, J.M. c. Royaume-Uni 2010). »

4.  C’est ainsi que le débat devantla Coura été circonscrit par les requérants eux-mêmes. Dans ces conditions, il me semble qu’il n’était pas nécessaire pourla Courd’examiner la question de la comparaison de la situation des requérantes avec celle d’un couple marié, d’autant moins qu’il n’y a pas eu de vrai débat sur l’existence possible de justifications à la différence de traitement, à la lumière d’un éventuel but légitime et à l’aune du principe de proportionnalité.

OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES CASADEVALL, ZIEMELE, KOVLER, JOCIENE, SIKUTA, DE GAETANO ET SICILIANOS

1.  Avec tout le respect dû à l’approche suivie par la majorité, nous ne sommes pas en mesure de souscrire au point 3 du dispositif, lequel constate une violation de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8 pour autant que l’on compare la situation des requérants avec celle d’un couple hétérosexuel non marié dont l’un des membres aurait souhaité adopter l’enfant de l’autre, ni aux arguments étayant cette conclusion. En effet, les spécificités factuelles de l’affaire, combinées au contenu du droit autrichien, d’une part, et une série de considérations de droit comparé et de droit international, d’autre part, nous conduisent à conclure qu’il n’y a eu de violation de l’article 14 combiné avec l’article 8 dela Conventiondans le chef d’aucun des trois requérants.

I.  Les spécificités de l’affaire et le droit autrichien

Les circonstances de l’espèce

2.  Elles différaient de celles qui étaient en cause dans de précédentes affaires portant sur des questions d’adoption dont notre Cour a eu à connaître. En effet, quatre personnes étaient concernées en l’espèce : une mère biologique, un père biologique, la compagne de la mère et l’enfant à adopter (fils des deux premiers). La compagne de la mère, en accord avec celle-ci, souhaitait adopter l’enfant. Bien que l’enfant se trouvât sous l’autorité parentale de sa mère, il avait gardé des liens affectifs solides avec son père, qu’il voyait régulièrement et qui lui versait une pension alimentaire, tout aussi régulièrement d’après le dossier. Le père avait légitimement refusé de consentir à l’adoption. Il n’était pas contesté que l’enfant recevait une éducation correcte au sein du foyer familial composé de sa mère et de la compagne de celle-ci. Nous souscrivons sans aucune difficulté à l’idée selon laquelle la relation entre les trois requérants relevait de la notion de « vie familiale » au sens de l’article 8 dela Convention.

3.  Sachant que l’article 8 dela Conventionne garantit ni le droit de fonder une famille, ni le droit d’adopter (voir, parmi d’autres, E.B. c. France, (, no 43546/02, § 41, 22 janvier 2008)), ni le droit à l’enfant, ni le droit d’être adopté, on peut se poser la question de savoir quelle était la prétendue ingérence des autorités nationales dans la vie privée ou familiale des requérants. En effet, la première requérante, compagne de la mère de l’enfant, ne pouvait pas se prévaloir d’un droit à adopter l’enfant de cette dernière. A supposer qu’il ait souhaité être adopté, le deuxième requérant n’aurait pas davantage pu revendiquer un tel droit ; d’ailleurs, il avait déjà un père et une mère. La troisième requérante, mère de l’enfant, n’a subi aucune atteinte à ses droits. Bien au contraire, la législation litigieuse n’a fait que préserver ses droits parentaux, auxquels elle n’entendait pas renoncer. En tout état de cause, même à supposer qu’il y ait eu ingérence, elle était prévue par la loi et poursuivait le but légitime de protéger les relations familiales entre le deuxième requérant et son père, lequel était opposé au projet d’adoption. Mais nous ne nous étendrons pas davantage sur ce point.

La législation litigieuse

4.  Contrairement à l’avis de la majorité (paragraphe 126 de l’arrêt), nous estimons quela Couraurait dû examiner la question en partant de cette situation précise et non en se livrant à une analyse abstraite de la disposition juridique applicable et appliquée par les juridictions internes, à savoir l’article 182 § 2 du code civil autrichien. Ainsi, « (…) dans des affaires issues d’une requête individuelle,la Courn’a point pour tâche de contrôler dans l’abstrait la législation litigieuse. Elle doit au contraire se limiter autant que possible à examiner les problèmes soulevés par le cas dont elle est saisie » (Taxquet c. Belgique , no 926/05, §83 infine, CEDH 2010).

5.  Suivant la même ligne de raisonnement que celle du tribunal de district et du tribunal régional,la Coursuprême autrichienne a débouté les requérants de leur pourvoi en cassation. Parmi les motifs exposés dans son arrêt, elle a précisé que l’article 182 § 2 du code civil autrichien régissait les effets de l’adoption monoparentale et qu’il convenait d’en tirer les conclusions suivantes :

– si l’enfant n’était adopté que par un adoptant (ou une adoptante) seuls les liens familiaux qui l’unissaient à son père biologique (ou sa mère biologique) et aux parents de celui-ci (ou de celle-ci) étaient rompus ;

– cela signifiait notamment que l’adoption d’un enfant par une femme ne pouvait priver celui-ci de son père biologique ;

– l’article 182 § 2 du code civil interdisait de manière générale (et pas seulement aux couples homosexuels) tant l’adoption d’un enfant par un homme, aussi longtemps que subsistait le lien de filiation entre l’enfant à adopter et son père biologique, que l’adoption d’un enfant par une femme, aussi longtemps que subsistait le lien de filiation entre celui-ci et sa mère biologique ;

– il résultait donc de l’article 182 § 2 que la personne qui adoptait seule un enfant ne se substituait pas indifféremment à l’un ou à l’autre des parents, mais seulement au parent du même sexe qu’elle.

6.  L’article 182 § 2 est une disposition de caractère général, absolument neutre, applicable dans toutes les situations et sans aucune distinction fondée sur l’orientation sexuelle des adoptants. Il arrive qu’une même disposition législative produise des effets différents selon les situations auxquelles elle s’applique. « La simple différence des effets ne constitue pas et n’implique pas une différence de traitement, dès lors qu’une seule et même règle produit des effets différents » (observations du tiers intervenant ECLJ). On retrouve dans la législation de beaucoup d’autres Etats membres du Conseil de l’Europe (voir, entre autres, les articles 360 et suivants du code civil français) les effets résultant de l’application des dispositions pertinentes du droit autrichien (rupture du lien de filiation entre l’enfant adopté et son père ou sa mère biologique), effets qui sont la conséquence juridique et logique du fait de l’adoption. Notre Cour a déjà reconnu «…que la logique de la conception de l’adoption litigieuse, qui entraîn la rupture du lien de filiation antérieur entre la personne adoptée et son parent naturel valable pour les personnes mineures » et que « (…) compte tenu du fondement et de l’objet de l’article 365 du code civil (…) l’on ne , en se fondant sur la remise en cause de l’application de cette seule disposition, légitimer la mise en place d’un double lien de filiation » (Gas et Dubois c. France, no 25951/07, § 72, 15 mars 2012). Cela est valable, mutatis mutandis, dans le cas d’espèce. Le changement des acteurs est sans incidence sur les effets produits, qui resteront toujours les mêmes : l’enfant ne pourra pas être adopté sans le consentement exprès du père ou de la mère avec lequel il garde un lien de filiation. Partant, que l’adoptant soit un homme ou une femme, qu’il soit hétérosexuel ou homosexuel, l’adoption est par principe impossible dans tous les cas.

La position du père de l’enfant

7.  Les requérantes alléguaient à juste titre que l’homologation de l’adoption aurait conduit à la rupture du lien entre la mère et son fils en application de la disposition légale pertinente, tout en revendiquant la rupture judiciaire des liens unissant l’enfant et son père (c’est-à-dire la substitution de la compagne de la mère au père biologique). Ce faisant, elles oubliaient le droit légitime du père au respect de sa vie privée et familiale, également protégé par l’article 8. En dépit de la position de la majorité sur ce point (paragraphes 120 et 124 de l’arrêt), nous estimons que la faculté reconnue au juge par le code civil de passer outre à la volonté du père constitue une mesure exceptionnelle qui ne saurait être imposée que dans des situations graves et avérées de manquement flagrant aux obligations parentales, ce qui ne semblait pas être le cas en l’espèce. Un père n’a pas à se justifier de vouloir rester le père de son fils et encore moins lorsque, comme en l’espèce, il assume pleinement ses responsabilités parentales.

L’intérêt supérieur de l’enfant

8.  Il reste à examiner l’élément qui est au cœur de toute procédure d’adoption : l’intérêt supérieur de l’enfant (le grand oublié de ce dossier). Abstraction faite d’un éventuel conflit d’intérêts entre la mère représentante et son fils (question soulevée mais non tranchée par les autorités internes, paragraphe 18 de l’arrêt), il aurait fallu rechercher quelle était la position de l’enfant. Il avait entre onze et douze ans au moment de la procédure interne. Aujourd’hui, il approche de la majorité. Il a une mère et un père : au nom de quel intérêt supérieur la substitution de son père par la compagne de sa mère aurait-elle été justifiée ? Unies par des liens affectifs, les deux requérantes ont marqué leur intérêt pour l’adoption, mais rien ne démontrait l’existence d’un « intérêt supérieur » pour l’enfant. L’adoption consiste à « donner une famille à un enfant et non un enfant à une famille » (Fretté c. France, § 42, CEDH 2002-I). Or force est de constater que le deuxième requérant a toujours eu une famille. L’arrêt est muet sur ce point essentiel.

L’adoption coparentale par des couples de même sexe

9.  Après avoir rappelé que la présente affaire ne portait pas sur la question de savoir si, eu égard aux circonstances, la demande d’adoption des requérants aurait dû ou non être accueillie (paragraphes 132 et 152 de l’arrêt), la majorité a précisé à deux reprises que « (…)la Courn’ pas appelée à se prononcer sur la question de l’adoption coparentale par des couples homosexuels en elle-même, et encore moins sur celle de l’adoption par des couples homosexuels en général » (paragraphes 134 et 149 de l’arrêt). Elle a ensuite ajouté – sans plus de précisions – que le but consistant à protéger la famille au sens traditionnel du terme était « assez abstrait » et qu’une grande variété de mesures concrètes pouvaient être utilisées pour le réaliser (paragraphe 139 de l’arrêt). Concernant l’article 8 § 4 de la loi sur le partenariat enregistré, la majorité a constaté que « (…) cette disposition ne fai que refléter la position de certains pans de la société opposés à l’ouverture de l’adoption coparentale aux couples homosexuels » (par. 143 de l’arrêt) mais sans formuler d’autres considérations sur cette réalité objective, valable peut-être pour l’Autriche, mais aussi, le cas échéant, pour d’autres pays parties àla Convention.

10.  Enfin, nous ne comprenons guère pourquoi la majorité a reproché au Gouvernement de ne pas avoir présenté d’arguments précis, d’études scientifiques ou d’autres éléments de preuve susceptibles de démontrer que les familles homoparentales ne pouvaient s’occuper convenablement d’un enfant (paragraphes 142 et 146 de l’arrêt). Pourquoi le Gouvernement aurait-il dû présenter pareils éléments ? La question ne se posait pas dans les circonstances spécifiques de cette affaire. Elle était hors sujet. Le fait que le deuxième requérant semblait recevoir une éducation correcte de sa mère et de la compagne de celle-ci ne prêtait pas à controverse.

11.  A notre avis, et avec tout le respect dû à la majorité, celle-ci en a dit trop ou trop peu sur cette question de l’adoption coparentale par des couples du même sexe.

II.  Le droit comparé et le droit international

Le droit comparé et la question du « consensus »

12.  Dans le paragraphe 149 de l’arrêt, et en réponse à l’affirmation du Gouvernement selon laquelle il n’existait pas de consensus européen en la matière,la Coura relevé que « seuls les dix Etats membres du Conseil de l’Europe qui ouvrent l’adoption coparentale aux couples non mariés servir de point de comparaison », que « six d’entre eux traitent les couples hétérosexuels et les couples homosexuels de la même manière à cet égard » et qu’ils étaient « quatre à avoir adopté la même position que l’Autriche (…) », puis elle a estimé que « l’étroitesse de cet échantillon ne permet de tirer aucune conclusion sur un éventuel consensus entre les Etats membres du Conseil de l’Europe ».

13.  Cette manière de voir soulève avant tout une question d’ordre méthodologique, à savoir celle de l’« échantillon » des Etats membres à prendre en considération. Fallait-il se limiter aux seuls Etats dont l’ordre juridique se prêtait à une comparaison quasi-automatique avec celui de l’Etat défendeur ou bien fallait-il aussi prendre en compte les législations qui s’inscrivaient dans le contexte plus large de l’affaire ? Si l’on retient la première solution, la majorité a eu raison de ne tenir compte que des législations des dix Etats parties qui ouvrent l’adoption coparentale aux couples non mariés.

14.  Mais, à supposer que cette solution soit effectivement la bonne, la conclusion quela Couren a tirée est pour le moins curieuse. En effet, dès lors que six de ces dix Etats ont emprunté une voie tandis que les quatre autres en ont choisi une autre, il semble évident que les Etats en question sont fortement divisés et qu’il n’existe donc aucun consensus. Dans ces conditions, il paraît bien artificiel de s’abriter derrière l’« étroitesse de cet échantillon » pour esquiver la question en déclarant qu’aucune conclusion ne peut être tirée « sur un éventuel consensus ». Ce raisonnement quelque peu étrange s’explique, en réalité, par le fait que la méthode retenue n’est peut-être pas la bonne.

15.  En effet, la méthode en question conduit inexorablement à faire abstraction d’une tendance claire, selon laquelle la grande majorité des Etats parties refusent pour l’instant l’adoption coparentale aux couples non mariés en général, et a fortiori aux couples non mariés de même sexe. Dire que cela n’est aucunement pertinent aux fins de la présente affaire procède à notre sens d’une vision trop technique – et par conséquent réductrice – des réalités qui prévalent sur le plan paneuropéen. Sila Courest et doit être une bonne technicienne, elle ne doit pas pour autant perdre de vue les grandes tendances qui se dessinent clairement sur l’horizon de notre continent, du moins dans les circonstances actuelles. Par ailleurs, et en passant de la méthodologie à la terminologie, faut-il s’en tenir toujours à la notion plutôt restrictive du « consensus », que l’on retrouve très rarement dans la réalité ? Ne serait-il pas plus opportun et plus simple de parler de « tendance » ? Ces observations conduisent à examiner plus avant l’état actuel du droit international pertinent en la matière.

Le droit international et la tendance au « laissez-faire »

16.  On constate que l’absence d’un quelconque « consensus » et la diversité des approches en matière d’adoption coparentale par des couples non mariés se reflètent clairement dans l’article 7 § 2 dela Conventioneuropéenne en matière d’adoption des enfants révisée en 2008 (et entrée en vigueur en 2011). Selon cette disposition : « Les Etats ont la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples homosexuels mariés ou qui ont contracté un partenariat enregistré ensemble. Ils ont également la possibilité d’étendre la portée de la présente Convention aux couples hétérosexuels et homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable ». En d’autres termes, la disposition précitée laisse les Etats libres de légiférer comme ils l’entendent en la matière.

17.  La Conventionen question est traitée de façon plutôt ambivalente dans l’arrêt. Certains de ses articles – y compris la disposition précitée – et les passages correspondants de son rapport explicatif sont reproduits aux paragraphes 51 à 53 de l’arrêt, sous la rubrique « Conventions internationales et documents du Conseil de l’Europe », ce qui donne à penser qu’il s’agit là d’un instrument à prendre en considération, conformément à la pratique devenue habituelle dela Cour. Onsait, en effet, quela Couren appelle souvent à l’article 31 § 3 c) dela Conventionde Vienne sur le droit des traités pour s’inspirer d’autres instruments internationaux pertinents aux fins de l’interprétation dela Convention(voir I. Ziemele,  « Other Rules of International Law and the European Court of Human Rights: A Question of a Simple Collateral Benefit ? », in D. Spielmann, M. Tsirli, P. Voyatzis (eds. ), The European Convention on Human Rights, a living instrument. Essays in Honour of Christos L. Rozakis,Brussels, Bruylant, 2011, pp. 741-758).

18.  Or, le paragraphe 150 de l’arrêt semble se distancier soudainement de cette pratique. Dans un premier temps, il paraît vouloir écarter d’embléela Conventionde 2008 « parce qu’elle n’a pas été ratifiée par l’Autriche ». L’argument semble étrange si l’on garde à l’esprit quela Coura pour pratique courante de s’inspirer de plusieurs instruments internationaux, qu’ils aient ou non été ratifiés par l’Etat défendeur, dès lors qu’ils reflètent l’état actuel du droit international général (voir, parmi beaucoup d’autres, Cudak c. Lituanie, , no 15869/02, § 66, CEDH 2010). Afin de justifier ce changement de cap,la Cours’est hâtée de déclarer, précisément, que « l’on peut douter reflète une communauté de vues actuelle entre les Etats européens compte tenu du faible nombre de ratifications dont elle a fait l’objet jusqu’à présent ». Pour pertinent qu’il puisse sembler prima facie du point de vue du droit international, cet argument constitue en réalité une sorte de petitio principii. En effet, la seule disposition dela Conventionde 2008 susceptible d’entrer en ligne de compte en l’espèce est l’article 7 § 2 (précité). Or, la disposition en question ne fait que cristalliser, on le répète, l’absence de « communauté de vues actuelle entre les Etats européens ». Autrement dit, les rédacteurs dela Conventionde 2008 ont voulu exprimer dans cette disposition, de manière implicite mais claire, leur désaccord en matière d’adoption coparentale hors mariage et s’accorder une liberté totale de légiférer en la matière. Faute de vouloir admettre cette situation – et par là même l’argument du gouvernement autrichien sur l’absence de consensus –la Coura préféré mettre en doute la pertinence dela Conventionde 2008 dans son ensemble.

19.  Pourtant, aussitôt après avoir tenté d’écarterla Conventionde 2008, la majorité l’a invoquée pour en tirer argument à l’appui de sa thèse principale concernant la violation de l’article 14 dela Conventioncombiné avec l’article 8. Après avoir rappelé le contenu de l’article 7 § 2 dela Conventionde 2008, l’arrêt ajoute qu’ « l ne ressort donc pas de cette disposition que les Etats soient libres de traiter différemment les couples hétérosexuels et les couple homosexuels qui vivent ensemble dans le cadre d’une relation stable » (paragraphe 150). Outre le fait que, à nos yeux, cette interprétation ne respecte pas la lettre de l’article 7 § 2, elle semble contrevenir également à son objet et à son but, tels qu’explicités dans le rapport explicatif cité au paragraphe 53 de l’arrêt. Retraçant l’historique de cette disposition et le cheminement logique qui a abouti à son adoption, le rapport explicatif énonce en effet que :

« 45.  Concernant le paragraphe 2 , il a été relevé que deux Etats Parties (la Suèdeen 2002 et le Royaume Uni en 2005) ont dénoncéla Conventionau motif que les partenaires enregistrés de même sexe, conformément à leur législation nationale, pouvaient faire une demande conjointe pour devenir parents adoptifs, ce qui contrevenait àla Convention. Dessituations analogues dans d’autres pays pourraient également déboucher sur la dénonciation dela Conventionde 1967. Néanmoins, il a aussi été relevé que le droit pour des partenaires enregistrés de même sexe d’adopter conjointement un enfant n’était pas une solution qu’un grand nombre d’Etats Parties étaient prêts à accepter à l’heure actuelle.

46.  Dans ces conditions, le paragraphe 2 permet aux Etats qui le souhaitent d’étendre la portée dela Conventionrévisée à l’adoption par des couples de même sexe, qu’ils soient mariés ou partenaires enregistrés. A cet égard, il n’est pas rare que des instruments du Conseil de l’Europe introduisent des dispositions novatrices tout en laissant la liberté aux Etats parties de décider d’appliquer lesdites dispositions (voir paragraphe 2 de l’article 5 dela Conventionde 2003 sur les relations personnelles concernant les enfants, STE no 192).

47.  Les Etats ont également toute latitude pour étendre la portée dela Conventionaux couples de sexe différent ou de même sexe vivant ensemble dans une relation stable. Il appartient aux Etats parties d’établir les critères d’évaluation de la stabilité d’une telle relation. »

20.  Force est de constater que les passages précités soulignent tout d’abord les différences d’approches des Etats européens en matière d’adoption par des couples de même sexe, qu’ils mettent ensuite en exergue le caractère « novateur » de l’article 7 § 2, et qu’ils insistent enfin sur le fait qu’en vertu de cette disposition les Etats ont « également toute latitude pour étendre la portée dela Conventionaux couples de sexe différent ou de même sexe vivant ensemble dans une relation stable » (les italiques sont de nous). Les mots en italiques dénotent clairement la liberté totale des Etats de légiférer en la matière. Déduire de l’article 7 § 2 que les Etats contractants ont voulu limiter d’une quelconque manière la latitude de leurs législateurs respectifs constitue, à notre sens, une interprétation erronée de cette disposition.

21.  Des remarques analogues pourraient être faites au sujet dela Recommandation CM/Rec(2010)5 adoptée le 31 mars 2010 par le Comité des Ministres. Le paragraphe 23 de ladite recommandation énonce en effet que « orsque la législation nationale confère des droits et des obligations aux couples non mariés, les Etats membres devraient garantir son application sans aucune discrimination à la fois aux couples de même sexe et à ceux de sexes différents » ; et le même paragraphe d’ajouter « y compris en ce qui concerne les prestations de pension de retraite du survivant et les droits locatifs ». Ce dernier membre de phrase – qui est omis de la citation faite au paragraphe 150 de l’arrêt – est visiblement inspiré de l’arrêt Karner c. Autriche (no 40016/98, en particulier §§ 34 et suivants, CEDH 2003-IX) et semble vouloir situer le paragraphe 23 de la recommandation précitée notamment dans le champ patrimonial – voire successoral – et non pas dans celui de l’adoption. Cette manière de voir est corroborée par le fait que la même recommandation contient un paragraphe spécifique, le paragraphe 27, qui est consacré, lui, à l’adoption. Cette disposition – omise du paragraphe 150 de l’arrêt – se lit comme suit : « Tenant compte du fait que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être la considération première dans les décisions en matière d’adoption d’un enfant, les Etats membres dont la législation nationale permet à des personnes célibataires d’adopter des enfants devraient garantir son application sans discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre ». Ce paragraphe fait écho à la situation examinée parla Grande Chambredela Courdans l’arrêt E.B. c. France, en date du 22 janvier 2008 (voir, notamment, §§ 70 et suivants). Il ne concerne pas l’adoption coparentale.

22.  Le paragraphe 150 de l’arrêt contient un dernier argument, suivant lequel « (…) quand bien même l’article 7 § 2 dela Conventionde 2008 recevrait une interprétation conduisant à un résultat différent,la Courrappelle que les Etats demeurent responsables au regard dela Conventionpour les engagements pris en vertu de traités postérieurement à l’entrée en vigueur dela Convention(Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, no 61498/08, § 128, CEDH 2010) ». Cela est certainement correct du point de vue de la responsabilité internationale des Etats. Cependant, l’article 7 § 2 dela Conventionde 2008 sur l’adoption d’enfants ne crée aucun engagement. Au contraire, il laisse les Etats libres de légiférer comme ils l’entendent. Par conséquent, le passage précité ne semble pas pertinent en l’espèce. Il faudrait rappeler, par ailleurs, que dans son récent arrêt Nada c. Suisse (, no 10593/08, § 170, CEDH 2012),la Grande Chambrea confirmé l’approche qu’elle avait déjà suivie, selon laquelle lorsque « plusieurs instruments apparemment contradictoires sont simultanément applicables, la jurisprudence et la doctrine internationales s’efforcent de les interpréter de manière à coordonner leurs effets, tout en évitant de les opposer entre eux. Il en découle que deux engagements divergents doivent être autant que possible harmonisés de manière à leur conférer des effets en tous points conformes au droit en vigueur (voir, dans ce sens, les arrêts précités Al‑Saadoon et Mufdhi, § 126, et Al-Adsani, § 55 ; ainsi que la décision Banković, précitée, §§ 55-57 ; voir également les références citées dans le rapport du groupe d’étude dela CDIintitulé « Fragmentation du droit international : difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du droit international », paragraphe 81 ci-dessus) ». Cette approche fondée sur l’harmonisation – plutôt que sur l’opposition – des instruments conventionnels pertinents nous semble d’autant plus préférable en l’occurrence quela Conventionde 2008 sur l’adoption d’enfants est un instrument récent du Conseil de l’Europe.

Les limites de l’interprétation évolutive : les « conditions de vie actuelles » ou celles de demain ?

23.  Les développements précédents nous conduisent à conclure par quelques brèves considérations sur la méthode d’interprétation dite évolutive. On sait, en effet, que depuis l’arrêt Tyrer c. Royaume-Uni,la Courrappelle fréquemment quela Conventionest un instrument vivant qu’il faut interpréter « à la lumière des conditions de vie actuelles » (voir Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26). En d’autres termes, le sens de l’interprétation évolutive, telle que conçue parla Cour, est d’accompagner, voire de canaliser les changements (voir Ch. Rozakis, « The Particular Role of the Strasbourg Case-Law in the Development of Human Rights in Europe », in European Court of Human Rights 50 Years, Nomiko Vima, Athens Bar Association, Athens, 2010, pp. 20-30, notamment pp. 25 et suiv.), non pas de les précéder et encore moins d’essayer de les imposer. Sans aucunement exclure que les conditions qui prévaudront en Europe à l’avenir puissent aller dans le sens apparemment voulu par la majorité, tel ne semble pas être le cas, on l’a vu, à l’heure actuelle. Nous estimons en conséquence que la majorité est allée au-delà des limites habituelles de la méthode d’interprétation évolutive.

Arret de Grande Chambre X et autres c. Autriche 19.02.13 (216.51 Kb)